Dans son interlocution du 13 avril, le Président Macron a indiqué que « les personnes les plus vulnérables devraient rester confinées même après le 11 mai ». Devant la levée de boucliers que cette phrase a déclenchée, il a été précisé par la suite que ce confinement supplémentaire suggéré pour « un premier temps » se ferait sur une base volontaire. Le but, très louable, est de protéger ce groupe. Mais qui sont ces personnes auxquelles a fait référence le chef de l’Etat ? En quoi le coronavirus a-t-il transformé les besoins ?
Les personnes vulnérables
Un tel groupe est très hétérogène. Cela est bien normal, car il compte de l’ordre de 18 millions de personnes. Cela représente presque un quart de la population totale de la France. Ce groupe est, comme l’a souligné le président, particulièrement exposé aux dangers du coronavirus.
Nous pensons en premier lieu à nos ainés. Mais il existe cependant de très nombreuses catégories à risque. On trouve un ensemble de personnes atteintes de diverses maladies chroniques (cardiovasculaire, diabète, hypertension, cholestérol, maladie respiratoire, cancer). Il s’agit là des facteurs de comorbidité très souvent cités pour les patients admis en réanimation. La mortalité est fortement corrélée à l’âge. Soixante-dix ans étant souvent l’âge retenu comme la frontière délicate. Ces deux groupes (l’un lié à l’âge et l’autre aux maladies chroniques) payent le plus lourd tribut au Covid-19. La létalité chez les plus de 80 ans est de 8.3%, d’où l’importance de ne pas les exposer au virus. Le plafond d’admission en réanimation est situé à 70 ans. Le nombre de malades de plus de 70 ans transférés en réanimation est assez limité. Au-delà de cet âge, les chances de guérison en réanimation sont, hélas, faibles.
Ce sont donc toutes ces personnes qui doivent prendre un maximum de précautions. Ainsi que préconisé par le chef de l’Etat, et tant que le virus n’est pas vaincu, ces personnes vont être contraintes de vivre avec cette très pesante épée de Damoclès pouvant s’abattre à tout moment.
Les 70 – 80 ans
Intéressons-nous de plus près à la population des 70 à 80 ans. Il s’agit d’un âge charnière entre la fin du troisième âge et l’entrée dans le quatrième âge, soit la véritable vieillesse. L’épisode pandémique ayant démontré la vulnérabilité de ce groupe au risque du Covid-19.
Notre pays compte plus de 10 millions de personnes âgées de plus de 70 ans soit de l’ordre de 16% de la population totale. Les plus de 80 ans représentent près de 7.5 millions de personnes. Il y a par conséquent un peu moins de trois millions de personnes en France qui appartiennent au groupe des 70 – 80 ans.
Au sein de ce groupe, nous retrouvons tout à la fois de fringants septuagénaires, mais aussi une grande partie de personnes diminuées par l’âge. Rappelons que soixante ans est l’âge à partir duquel il est possible d’être admis en EHPAD, du moins pour bénéficier de l’ensemble des aides sociales au titre de l’Allocation Personnalisée d’Autonomie – APA. C’est aussi l’âge pour pouvoir être évalué selon les critères d’autonomie de la grille AGIRR. L’âge moyen des résidents des EHPAD est de 85 ans, qui comptent 20% de moins de 80 ans.
Au total, une bonne partie de ces trois millions de personnes, par la faute d’un virus, est passée d’un statut d’autonomie ou de quasi-autonomie à celui de personne dépendante. En effet, très nombreuses sont les personnes de ce groupe qui se sont imposé un confinement strict. Elles ont volontairement décidé de ne plus s’aventurer en dehors de leurs domiciles. Ceci même pour effectuer une petite promenade de santé ou faire des courses pour leurs besoins du quotidien (alimentation, biens de première nécessité). Du jour au lendemain, elles se sont retrouvées dépendantes d’un membre de leurs familles, d’un ami ou d’un voisin pour assurer leurs subsistances.
Les Proches Aidants face aux risques pandémiques
Dans le même temps, ceux qui apportent de manière régulière de l’aide à des personnes âgées ou fragilisées ont pris conscience du rôle critique qu’ils jouent dans le maintien à domicile de leurs aidés. Ils ont donc été rejoints par une cohorte de nouveaux aidants révélés depuis le début de l’épisode pandémique. Au cours des semaines de confinement de nombreuses personnes ont ainsi pris pleinement conscience de ce que recouvre la notion d’aidant familial ou de proche aidant. Bien souvent, ces personnes assument le rôle d’aidant de manière naturelle. Elles ne mesuraient pas les conséquences que pourrait avoir une indisponibilité soudaine de leur part. Fort heureusement, « l’assistance aux personnes vulnérables » est un motif retenu pour effectuer un déplacement dérogatoire pendant la période de confinement.
Cependant, si en tant qu’aidant, ces personnes sont affectées par le virus (ou testées positives en porteur asymptomatique), le confinement s’impose pendant deux semaines. A ce stade, il ne leur est plus possible de s’occuper de leurs aidés. La menace pandémique reste élevée. Les risques de reprise avec de nouvelles périodes de confinement sont hélas présents à l’esprit de tous. Les proches aidants comprennent donc qu’il faut désormais prendre les mesures nécessaires pour identifier des solutions de remplacement. Ils souhaitent pouvoir se faire remplacer lors de prochains épisodes pandémiques. Ils doivent anticiper les circonstances médicales qui ne leur permettraient plus de se rendre auprès de leurs aidés.
Les Proches Aidants maillons indispensables
La crise sanitaire a aussi mis l’accent sur les plus de 700 000 personnes en EHPAD. L’isolement dans lequel se sont retrouvés nos seniors confinés dans leurs résidences a fait la une des médias. Nul besoin de revenir sur la très forte mortalité observée dans ces structures. Cela ne peut que renforcer le souhait majoritairement exprimé par les Français les plus âgés de passer leur fin de vie dans leur domicile. Au cours des prochaines années, la nouvelle situation sanitaire et le vieillissement de la population renforceront le besoin de proches aidants et d’aidants professionnels.
L’émergence d’un groupe à risque dès 70 ans et le risque accru de mortalité au sein des EHPAD accentuent la pression sur les proches aidants. Notre pays compte plus de dix millions de proches aidants, nombre en constante augmentation. Le rôle de l’aidant est large et multiforme. Ce rôle est ancré dans la réalité sociale de notre pays. Sans leurs contributions la situation des seniors en France serait dramatique. Avec l’allongement de la durée de vie, les aidants sont mobilisés sur de plus longues années. Comme montré par les différentes études, l’âge moyen des aidants progresse. Ceci fait qu’ils sont eux-mêmes de plus en plus à risque.
Vers la reconnaissance des aidants ?
Le projet de loi sur la dépendance présenté par Agnès Buzyn, alors ministre de la Santé et des Solidarités, connaitra certainement, dans les circonstances actuelles, un retard dans sa mise en œuvre. Ils sont plus nombreux, plus indispensables que jamais, fragilisés et potentiellement isolés en cas de crise pandémique. Aussi les pouvoirs publics, les collectivités locales, les assureurs, les mutuelles, les organismes de protections sociales doivent de toute urgence leur proposer des solutions. Ceci permettra de prendre en compte le rôle critique joué dans notre société par les proches aidants.
Nous avons appris à nos dépens que ne pas savoir anticiper, oublier l’impact social dans les prises de décision et privilégier le tout économique peut avoir des conséquences fatales. La situation au sein de nos établissements hospitaliers et la dégradation de nos services d’urgence étaient ignorées depuis des années. Sachons donner aujourd’hui un véritable statut aux proches aidants. Nous devons leur apporter l’aide économique et le soutien psychologique dont ils ont besoin. Il faut maintenir et renforcer en ces temps troublés leurs rôles auprès de la très large population des personnes fragilisées. Cette population à laquelle le discours du président de la République faisait référence.
Marc SEVESTRE
Source : DREES.solidarite-sante.gouv ; ephad.fr ; bilan démographique INSEE 2020 ; Etude « Estimating the Burden of SARS-CoV-2 in France »