Ne nous voilons pas la face. Il nous faut accepter d’être à nouveau confrontés, avec une probabilité très forte, à une reprise épidémique significative avant la fin de l’année. Le virus circule à l’échelle planétaire. Plusieurs pays (et la liste s’allonge chaque jour) constatent une remontée du nombre de contaminations après une période d’accalmie de plusieurs semaines. Si le pire n’est jamais certain, se préparer à un retour en force de la pandémie représente, à notre plus grand désarroi, le scénario le plus vraisemblable. Nous pourrions vouloir faire un nouveau pari de Pascal. Si par chance, discipline, progrès scientifique, cette triste éventualité ne se produisait pas, nous n’en serions que plus soulagés.
Le pari de Pascal
Le pari de Pascal, contrairement à un pari sur la résurgence de la Covid-19, relevait d’une logique optimiste. Parier sur le coronavirus est hélas lié à des anticipations pessimistes.
Selon Blaise Pascal, philosophe et mathématicien du dix-septième siècle, une personne rationnelle a tout intérêt à croire en Dieu, qu’il existe ou pas. S’il existe, le croyant gagne le paradis et évite l’enfer. Si Dieu n’existe pas, le croyant et le non-croyant ne perdent rien.
En l’état actuel des observations et des connaissances, les scientifiques, en majorité, pensent que comme pour le virus de la grippe, le coronavirus est saisonnier et se diffuse plus largement en automne et en hiver. N’étant pas, dans notre grande majorité, experts ou devins, ne nous enfermons pas dans le déni. Acceptons les sombres prédictions du Conseil Scientifique qui juge une reprise pandémique comme « extrêmement probable ».
Un retour trop rapide à la vie « normale »
Tout d’abord lent et prudent, cédant aux multiples pressions de tous ordres, le déconfinement s’est rapidement accéléré. La forte remontée du taux de contamination dans de nombreux pays (une deuxième vague selon les uns; la poursuite de la première vague selon les autres) semble liée à cette volonté de retour (trop) rapide à la vie « normale ». Au plus fort du confinement, le leitmotiv était « plus jamais ça ». Aujourd’hui, les aspirations pour retrouver la vie d’avant se font entendre de toute part.
« Chassez le naturel, il revient au galop ». Ceci est également vrai pour le virus de la Covid-19. Il semble difficile de maintenir les gestes barrières sur le long terme. Plus encore lorsque nos concitoyens s’habituent à la présence de cet ennemi invisible. D’autant que certains scientifiques pensent que le virus est moins agressif pendant la saison chaude avec beaucoup d’activités en extérieur. Pourtant ces gestes étaient présentés comme le seul rempart solide, dans l’attente d’un vaccin. Cet édifice se fissure. Une reprise de la circulation active du virus est probable. Dans la ligne de la pensée de Pascal, pourquoi ne pas nous dire qu’elle est même certaine ? Anticipons que son ampleur sanitaire soit plus massive que la première vague. Sa diffusion devrait toucher une part plus importante de la population. Un confinement strict est difficile à imaginer, car il se traduirait par un véritable tsunami économique.
Pas de reconfinement généralisé strict
Sauf en cas de pandémie extrêmement sévère et totalement hors de contrôle, avec un virus très agressif se traduisant par des taux de reproduction (Ro) à des niveaux très élevés (au-delà de trois, soit un malade contaminant plus de trois personnes) un nouveau confinement généralisé et strict semble peu vraisemblable.
Le coût économique et social d’un reconfinement rigoureux serait insoutenable pour le pays. Le risque de désobéissance civique, contrairement au premier épisode, serait très important. En mars, certains parlaient déjà d’une contraction du PIB de 10 % et de la destruction de plus d’un million d’emplois de longue durée. Mais l’opprobre était jeté sur les plus pessimistes des Cassandre. Un nouveau confinement généralisé de longue durée conduirait à un déclin économique et social d’une telle ampleur que nos dirigeants ne s’y résoudraient qu’en tout dernier ressort (qualifiée de décision « ni possible, ni souhaitable »).
Un deuxième confinement dans la ligne de celui que nous avons connu à la fin du premier trimestre et pendant une grande partie du deuxième trimestre serait catastrophique. Notre pays verrait son produit intérieur brut (PIB) reculer de plus de 25 % et son taux de chômage dépasser les 15 %. Socialement, nous renouerions avec le climat des pires heures de la république de Weimar (crise de 1923) qui a été le prélude de la prise de pouvoir par le parti National Socialiste (1933) ou de la misère de masse aux Etats-Unis lors de la crise de 1929.
Ne plus sacrifier l’Economie
Nos responsables politiques mesurent le danger qu’il y aurait de couper des lieux d’enseignements notre jeunesse pour un nouveau trimestre. Peut-on imaginer les conséquences de cours dispensés sur moins de trois mois sur toute une année calendaire ? Est-il possible de remettre au chômage temporaire 50 % de la population active de notre pays ? Les familles accepteront-elles d’isoler une nouvelle fois pendant de longues semaines leurs ainés en EHPAD et en maisons de retraite ?
Le choix des dirigeants dans la plupart des pays a été de sacrifier l’économie au profit de la santé de leurs concitoyens. Il est difficile pour un responsable politique d’accepter que soit mise en œuvre une sélection drastique à l’entrée des hôpitaux. Peut-on voir mourir sans assistance une partie entière de la population, en sacrifiant les plus anciens et les plus fragiles ? A l’heure des réseaux sociaux, un retour à ces conditions moyenâgeuses a semblé totalement impossible. Dans nos démocraties occidentales, le principe de précaution, la peur des recours de tous ordres ont conduit les gouvernements à choisir la préservation des populations au détriment de l’économie.
Le sacrifice des populations
En serait-il de même lors du retour attendu d’une nouvelle vague pandémique de grande ampleur ? Nous en doutons fortement.
Une étude[1] de l’Imperial College de Londres estime que plus de trois millions de vies ont été épargnées au sein de onze pays européens grâce aux mesures de confinement. D’autres études indiquent que le confinement dans notre pays a permis d’épargner de 100 à 200 000 vies humaines. Le chef de l’Etat l’avait martelé avec son désormais fameux « quoi qu’il en coûte ». Si l’impact économique du confinement est encore difficile à évaluer, acceptons qu’entre 100 000 et plus de 300 000 âmes aient été ainsi sauvées dans notre pays. L’impact économique pourrait atteindre au total 500 milliards d’euros (l’équivalent de 20 % du PIB annuel de la France pour un total cumulé intégrant l’ensemble des années qui seront impactées par la crise). Cela représente un coût de 1,5 à 5 millions d’euros par vie épargnée. Il conviendrait d’ajouter un ensemble très significatif de coûts sociaux de tous ordres.
Les plus cyniques ne manquent pas de mettre en avant ce prix très élevé attribué à la vie. Les plus exposées, donc les plus grandes bénéficiaires du confinement ont été les personnes âgées ou fragilisées. Jamais une telle valeur n’avait été attribuée à l’homme. Que ce choix résulte d’un acte de compassion ou d’un acte politique, peu nous importe ; saluons-le comme il se doit.
Dans quelques semaines nos dirigeants risquent d’être confrontés au pire des dilemmes, consistant à devoir arbitrer entre protéger la vie de quelques centaines de milliers d’habitants ou éviter la ruine massive de tout un pays. De quel côté penchera le fléau de la balance ?
Un confinement restreint
Notre sentiment est que le choix en faveur de l’économie l’emportera sur d’autres considérations. La persévération des habitants de notre pays passera au second plan. Ceci, tout du moins, pendant un temps. Si le système de santé se trouvait totalement submergé, s’il fallait déployer un cordon de protection autour des hôpitaux pour les protéger de foules hostiles, si les victimes se comptaient par centaines de milliers, alors le pays devrait se résoudre à suivre les mesures imposées par une guerre sanitaire. Ce serait le retour au confinement généralisé de la population.
Lors de la résurgence de la pandémie – possiblement dès l’automne prochain – nos dirigeants devraient opter pour des mesures sélectives de restrictions sanitaires. C’est-à-dire accepter de laisser repartir vers des niveaux très élevés le nombre de cas et donc de victimes. Nous devrions cependant ne subir qu’un confinement sélectif. Isolement des nombreux clusters, fermeture ponctuelle des lieux d’enseignements, des transports et des entreprises les plus exposées. Nous renouerions avec les interdictions des rassemblements de masse et les restrictions d’accès du public dans les espaces clos qui ne permettent pas la distanciation physique. Nous assisterions donc à un ensemble de demi-mesures se traduisant par des demi-succès ou plutôt des demi-échecs.
La tentation du » survivalisme »
Face à ces sombres perspectives, il peut être utile d’envisager un certain nombre de mesures de nature « survivaliste ». Une forme d’autosuffisance adoptée par les personnes les plus à risques ou les plus inquiètes. Rechercher un mode de vie le plus autonome possible, favoriser une forte distanciation sociale, préparer des plans alternatifs pour faire face à sa propre contamination ou à celle de proches peuvent paraitre inutilement alarmiste. La très forte demande pour des résidences en dehors des zones urbaines densément peuplées, la popularité du télétravail et la volonté de le poursuivre, la forte progression de l’épargne de précaution (principalement le livret A au rendement faible, mais garantissant le capital), la demande importante de biens d’équipement peuvent s’analyser comme les signes, pour une partie de la population, d’un besoin d’isolement et de repli sur des cercles plus restreints.
Ce fort doute dans l’avenir se traduit par un fort taux d’épargne. Les ménages mettent de côté plus de 20 % de leurs revenus disponibles. Cela ne présage rien de bon pour l’économie. C’est donc à une double peine qu’il faut nous préparer en anticipant une crise sanitaire et une crise économique. Il s’agit donc d’un mauvais pari, puisque c’est justement au nom de l’économie que les choix sanitaires seront sacrifiés.
Marc SEVESTRE
[1] Samir Bhatt, study author from the MRC Centre for Global Infectious Disease Analysis, Jameel Institute (J-IDEA), Imperial College London