Alfred Sauvy affirmait que « les chiffres sont des innocents qui avouent facilement sous la torture ». Dès lors, il peut exister différentes lectures des bilans quotidiens livrés par Santé publique France. Comme pratiqué par Thomas Torquemada, le sinistre inquisiteur espagnol du quinzième siècle, sous la torture il est possible de faire avouer (aux chiffres pour le cas présent) tout et son contraire. Cela dépend de ce que le tortionnaire souhaite mettre en avant. La lecture des chiffres de l’épidémie n’est-elle pas soumise à un tel biais, en fonction de l’angle selon lequel on les considère ?
Des chiffres qui avouent sous la torture
Il est intéressant de regarder de près la citation complète d’Alfred Sauvy et de ne pas s’en tenir à sa version tronquée. « Les chiffres sont des innocents qui, sous la sollicitation, sous la torture, avouent très vite ce qu’on leur demande, quitte à se rétracter plus tard ». Cette dernière partie de la phrase retient aussi notre attention.
Avec le recul, bien des décisions prises dans le feu de l’action se montrent erronées, biaisées, mauvaises, voire dangereuses. N’oublions pas qu’Alfred Sauvy était un économiste, un sociologue et un démographe. Autant d’expertises qui nous intéressent en ces temps de crise sanitaire.
La dictature des chiffres
Nous pensons à un autre démographe bien connu dont les prédictions se sont trouvées également contredites. Robert Malthus, éminent économiste du début du XIXe siècle, se pencha sur le rapport entre l’accroissement de la population et celle des ressources nécessaires à sa subsistance. S’appuyant sur des démonstrations mathématiques, Malthus en a déduit que le monde courrait à la catastrophe. Pour lui, puisque la population croissait à un rythme géométrique (1, 2, 4, 8…), alors que les ressources progressaient seulement de manière arithmétique (1, 2, 3, 4 …), la famine était inévitable. Sur ces bases, Malthus fut un ardent militant d’un strict contrôle des naissances. Le pasteur Malthus s’opposa également à l’aide aux indigents pour limiter la taille de leurs familles. Théorie que l’on connait sous le nom de malthusianisme.
Dans son équation, Malthus oublia de prendre en compte certains éléments. Le progrès technologique, la hausse de la productivité, les avantages liés à la spécialisation. Des éléments mis en avant par David Ricardo dans sa théorie de l’avantage comparatif. Ce fut aussi le cas pour Adam Smith, auteur du traité sur « la richesse des nations ». L’essor du commerce international lié au libre-échange et la spécialisation des nations permirent la diffusion de biens à grande échelle et à moindre coût.
Impact de la pandémie
Difficile de ne pas songer à la crise pandémique qui frappe notre planète. C’est avec stupeur que nombre d’entre nous découvrirent en début d’année que les usines de fabrication des principes actifs des médicaments les plus essentiels se trouvaient tous en Chine ou en Inde. L’Europe ne possédait aucune capacité de fabrication de masques médicaux.
Cependant, pour l’Insee, l’impact de la pandémie est faible : « Entre le 1er mai et le 5 octobre 2020, 247 613 décès sont enregistrés en France, soit 1% de plus qu’en 2019 ». Il est difficile de tirer des enseignements de ces constatations générales.
La pandémie accélère la disparition des personnes les plus fragilisées, comme ce fut le cas avec la canicule de l’été 2003. Le bilan de cet épisode caniculaire se traduisit par un excès de mortalité de 15 000 cas. Pendant ce court épisode, la surmortalité fut de 70% pour la tranche d’âge 75 à 94 ans. Elle atteignit 120% chez les sujets de plus de 95 ans. Cet excès passager fut compensé dans le temps. Dans la période qui suivit, il y eut une sous-mortalité des personnes en fin de vie. Les personnes dont l’espérance de vie était limitée disparurent avec quelques mois d’avance.
100 000 vies sauvées
L’on peut donc se demander si les données chiffrées peuvent justifier des mesures aussi drastiques et ruineuses pour les économies que des épisodes de confinement et de couvre-feu. En termes économiques, le coût par année de vie épargnée n’est-il pas tout simplement astronomique ?
Illustrons ceci par un exemple simple. Supposons un instant que le confinement du début de l’année a contribué à épargner 100 000 vies. Ce chiffre nous semble élevé (supérieur aux estimations d’experts trouvés sur internet). Comme le Covid (nous optons pour le masculin, le plus souvent usité, n’en déplaise à nos académiciens) atteint majoritairement des personnes fragilisées, âgées ou avec des facteurs de comorbidité. Pour ces personnes et en péchant par excès, retenons une espérance de vie moyenne de cinq ans. On aurait ainsi épargné 500 000 années de vie humaine.
Estimons que la facture du premier confinement se monte pour notre pays à 200 milliards d’euros. Nous pensons que ce montant sera dépassé, mais acceptons-le, car il correspond à environ 10% du PIB. Sur la base de ces données, l’on arrive à un coût par année de vie sauvée de 400 000 euros. Pour une espérance de vie de 80 ans, la vie humaine serait ainsi estimée à 32 millions d’euros. Si l’on pense que nos données sont surestimées, cela ne ferait qu’augmenter ce montant pharaonique.
En matière d’emplois détruits, la crise économique – avant le deuxième confinement – pourrait se traduire « in fine » par un million de chômeurs de longue durée supplémentaires. Chaque vie sauvée pendant le premier confinement l’aurait ainsi été au prix de la disparition de dix emplois.
Décès annuels en France
En moyenne en France, l’on constate un peu plus de 600 000 décès sur une année (entre 606 000 et 612 000 sur les trois dernières années, niveau remarquablement stable). Nous nous risquons à pronostiquer que la moyenne sur cinq ans pour la période 2020 à 2024 se situera à un niveau comparable. L’on ne devrait constater que très peu de surmortalité. Les personnes les plus à risque sont les principales victimes du virus. La sous-mortalité des mois ou des années post-crise compensera la surmortalité des années 2020 – 2021. Contrairement au trou économique, la surmortalité ne sera pas visible sur les moyennes portant sur trois ou cinq années.
Empressons-nous de préciser « toutes choses égales par ailleurs ». Cela n’est, hélas, pas le cas. Avec la déprogrammation des soins et des chirurgies non urgentes, la situation sanitaire du pays se dégrade. Sur les cinq prochaines années, certains oncologues prédisent que la mortalité des cancers progressera de 2 à 5%. Sur 400 000 cancers répertoriés sur une année, 5% de mortalité supplémentaire, c’est 20 000 décès supplémentaires annuels que nous pourrions enregistrer. Si donc nous assistions à un léger pic de surmortalité, nous trouverions de nombreux arguments pour démontrer la justesse de notre projection. « Ce n’est pas la girouette qui tourne, c’est le vent ».
Peu d’impact sur l’espérance de vie
Nous pourrons aussi mesurer l’impact du virus en regardant l’espérance de vie moyenne au niveau du pays. Nous devrions observer une variation quasi nulle. Cela confirmerait que ce sont effectivement les plus âgés et les plus fragiles qui sont décédés quelques semaines avant l’échéance fatale programmée. Cela n’aura donc que peu ou pas d’impact sur la longévité moyenne.
Il est difficile d’estimer l’impact du virus sur de nombreuses autres causes de mortalité. Combien de décès supplémentaires pourront être rattachés à la déprogrammation de traitements et d’opérations ? Combien de personnes souffrant de pathologies graves n’osent pas se rendre aux urgences ou ne sont pas prises en charge de manière efficace ? En sens inverse, quelques centaines de vies sont épargnées pendant le confinement. Un objectif du confinement est de désencombrer les services d’urgence. Faire reculer les accidents de la route et bannir les pratiques sportives dangereuses vont dans ce sens.
Saisonnier ou pas, tel est la question
Une grande interrogation agite et inquiète les milieux médicaux. Déjà endémique en France et en Europe, le Covid sera-t-il saisonnier comme la grippe ? Faut-il entendre cette crainte derrière l’exhortation présidentielle d’apprendre à vivre avec le virus ? Pas de fatalité et nous vaincrons ce virus, comme affirmé par le Président de la République fin août dernier « Pour surmonter la crise sanitaire, nous devons apprendre à vivre avec le virus. Il n’y a pas de fatalité : si nous faisons preuve d’unité et de sens des responsabilités, nous réussirons ».
Nous entrons dans la période hivernale pendant laquelle se développe la grippe. Comme le virus s’est largement propagé au sein des résidences pour séniors, emportant les plus faibles, la mortalité de la grippe pourrait être moins forte. Les personnes les plus à risque auront été victimes du Covid-19, donnant moins de prise à la grippe. Les gestes barrières devraient aussi limiter la transmission du virus grippal, dont le mode de propagation est proche de celui du Covid. Enfin, un plus grand nombre de personnes se seront protégées, dont les plus exposés du fait de leur santé ou de leur profession.
La létalité de la grippe saisonnière est basse (0.1%), bien inférieure à celle du Covid. En outre, elle ne dure que quelques semaines. Pour l’hiver 2018 – 2019, la France a enregistré 8 100 morts pour un total de 650 000 dans le monde. Il s’agissait d’un épisode de faible intensité. Les décès annuels pour des souches agressives avoisinent dans notre pays les 15 000. Ce chiffre peut même dépasser les 18 000 comme cela fut le cas lors de l’hiver 2015 – 2016. La différence entre le Covid et la grippe est que pour cette dernière, il existe déjà un vaccin. Le taux de contamination (Ro) est aussi plus fort que pour la grippe (qui se situe autour de 1.5, alors que celui du Covid peut dépasser 3.0, comme lors de la première vague).
Vivre avec la grippe
Un gros épisode de grippe saisonnière se traduit ainsi par près de la moitié des décès constatés par le Coronavirus à date. Cependant, le compteur du Covid continue de tourner vite et il faudra comparer les données sur une année complète, soit fin février 2021.
Si d’aventure, un virus de la grippe saisonnière était particulièrement sévère, deux ou trois fois supérieur à la norme (faisant de 30 à 50 000 victimes), des mesures similaires à celle du Covid seraient-elles prises en mettant le pays à l’arrêt ? La peur de l’inconnu pourrait être particulièrement mauvaise conseillère.
En attendant, espérons que des traitements efficaces seront disponibles. Surtout s’il se confirmait, comme beaucoup le craignent que le Covid devienne effectivement saisonnier !
La peur initiale
Quel est le taux de mortalité du virus (IFR ou Infection Fatality Rate) ? Nous trouvons de nombreux articles sur le sujet et aussi de grandes divergences de vues. Les populations étudiées sont hétérogènes, les données peu fiables, les méthodologies différentes. Les études penchent pour un taux de létalité de moins de 1% dans la population générale. Il peut nettement dépasser 4% chez les plus de 65 ans, voire plus du double chez les sujets les plus âgés.
Il semble intéressant de regarder des clusters spécifiques, comme celui des passagers du Diamond Princess (mis en quarantaine dans les eaux japonaises en février 2020). Sur les 3 700 passagers et membres d’équipage (testés pour la plupart), l’on comptabilisa près de 700 infections, dont 18% de cas asymptomatiques. Le taux de mortalité s’est établi à 1.2%. Cette référence est-elle pertinente ? Il faudrait prendre en compte l’âge moyen des patients (élevé pour les passagers, plus jeune pour l’équipage). Les patients ont-ils été bien soignés ? Nous en étions au début de la pandémie avec peu de connaissance sur le virus et dans un milieu non médicalisé.
Taux de mortalité du Covid-19 revu à la baisse
Combien de mutations le virus a-t-il connues depuis son origine ? La génération actuelle est-elle plus dangereuse, plus contaminante que les précédentes ? Le professeur Raoult parle d’une souche d’origine anglaise à l’heure actuelle, contre une source africaine lors du premier épisode. Nous pensions que la première souche était d’origine chinoise, mais il est vrai que le fameux professeur est une éminence incontestée en matière de manipulation des données. Tellement de questions, de variables, d’inconnus qu’il est difficile de se faire une idée précise.
A ce stade, en comparant différents chiffres, l’on semble converger vers un taux de mortalité de 0.6% sur la population générale. Taux qui serait de 5 à 6% pour les plus de 65 ans. Que représentent ces chiffres à l’échelle de la France ?
Nombre de cas en France
Pour estimer l’impact total que pourrait avoir le virus, il y a une autre inconnue fondamentale. Quelle proportion de la population contactera le virus ? Si l’on regarde l’évolution hebdomadaire des cas, il est facile d’imaginer que nous pourrions rapidement approcher le taux d’incidence moyen de 1 000 / 100 000. Cela veut dire qu’en une semaine, sur 100 000 habitants, 1 000 contractent le virus. Soit plus de 4 000 par mois et sur 12 mois près de 50 000 pour 100 000 habitants. Une personne sur deux.
Ne retenons que les 55 millions de Français de quinze ans et plus. Pour ce large groupe, les personnes à risque se protègent le plus. Les jeunes, moins exposés, prennent le plus de risque et surtout en font prendre aux autres. Les nombreuses mesures en vigueur ont pour but de faire fortement chuter ce taux d’incidence. Acceptons un instant qu’il s’établit sur une année en moyenne à 500. Cela nous semble (ou nous l’espérons) très pessimiste. Cela se traduirait par 25% des plus de quinze ans atteints par le virus, soit quatorze millions de cas.
Les séniors les plus touchés
Répartissons ces cas en quatre grandes catégories, puisque la mortalité est directement corrélée à l’âge. Ce qui nous est rappelé à tous moments sur les ondes par les spots gouvernementaux. « Neuf personnes sur dix qui décèdent ont plus de soixante-cinq ans ». L’information est vérifiée pour le moment (la croissance d’hospitalisation de patients plus jeunes ne devrait pas modifier ces données). L’un des moyens de faire baisser l’âge des patients hospitalisés, c’est de ne plus admettre les plus âgés. Au total, ce sont plus de 10% des décès qui sont observés chez les 60 – 69 ans et plus de 80% chez les plus de 70 ans. Les dernières données pour la France indiquent que 90.6% des décès interviennent sur des malades de plus de 65 ans.
Un calcul à partir des statistiques officielles fait ressortir que :
- Moins de 0.03% du nombre total de décès se trouve chez les moins de 20 ans.
- 2% des décès chez les 20 à 59 ans.
- 7% des décès chez les 60 à 79 ans
- 60% des décès chez les 80 ans et plus
Si l’on regarde le pourcentage de décès chez les moins de 30 ans, l’on voit que cette population n’est que très peu à risque. Seulement 0.15% des décès. Pour 1 000 personnes qui décèdent du Covid, moins de deux décès sont constatés dans cette catégorie (et quasiment aucun chez les moins de 15 ans). L’on comprend dès lors pourquoi ce sont les jeunes insouciants qui ont pendant l’été fortement répandu le virus à travers tout le pays et à toute la population. Le risque s’est bien transmis d’une catégorie à faible risque aux catégories les plus risquées.
Un niveau de décès potentiellement élevé
L’âge médian des décès est de 84 ans. A cet âge, le taux de comorbidité est de 65%.
En scindant les décès par tranche d’âge l’on observe que :
- Les moins de 20 ans (16 millions) ont un taux de mortalité très faible ou nul. Retenons 0.5 pour mille (1 décès sur 2 000 cas).
- Les 20 à 59 ans (33.1 millions) ont un taux de mortalité faible. Retenons 0.5% (1 décès sur 200 cas).
- Les 60 à 75 ans (12 millions) ont un taux de mortalité plus élevé. Retenons un taux de 3%.
- Les plus de 75 ans (5.9 millions) ont un taux de mortalité très élevé. Retenons un taux de 8%.
Ces chiffres reflètent la tendance qui se dégage des différentes analyses disponibles en ligne.
En croisant ces différentes hypothèses, nous arrivons à un nombre de victimes potentielles de l’ordre de 250 000. Ce chiffre résulte du calcul (16M X 0.25 X 0.0005) + (33.1M X 0.25 X 0.005) + (12M X 0.25 X 0.03) + (5.9M X 0.25 X 0.08).
Rappelons que dans notre calcul, nous avons retenu un taux d’incidence de 500 / 100 000. Nous n’avons pas introduit de différence dans la contamination totale sur une année entre les différentes tranches d’âges (25%). Nous pouvons espérer que l’extension du couvre-feu, puis le reconfinement généralisé permettront de maintenir ce taux à un niveau nettement plus bas.
Un deuxième long confinement
La progression de la pandémie a contraint nos dirigeants à prendre de nouvelles mesures strictes de restriction. Quelle en sera la durée ? Peut-on croire à l’annonce d’une période de quatre semaines, jusqu’au 1erdécembre. Notons que du vendredi 30, 0 heure au mardi 1er décembre, c’est déjà plus de quatre semaines. Lors de l’annonce du mois de mars, la première annonce indiquait quinze jours au moins. Cette fois-ci, ce sont quatre semaines et quelques jours qui sont prévus. Alors comme les deux semaines du premier confinement se sont transformées en six semaines, nous pouvons craindre le pire.
Si le 1er décembre est repoussé de quinze jours, soit mi-décembre, serait-il raisonnable de laisser les familles se réunir, les personnes circuler librement ? Il semble admis que le premier confinement ait été un succès et le déconfinement un échec. Dès lors, il conviendra de déconfiner prudemment, progressivement. Il est donc envisageable que la période de confinement s’étende au-delà des fêtes de fin d’année. Certains veulent croire qu’il serait possible de mettre en place « une trêve de Noël ». Il s’agirait d’un assouplissement de quelques jours avant une reprise stricte du confinement. Tout dépendra bien entendu de la situation sanitaire du pays.
Un tel yo-yo ne semble pas très sérieux sur le plan sanitaire. Nos dirigeants doivent penser qu’il vaut mieux distiller les informations progressivement. Ils pourront ainsi redonner un tour de clé en le justifiant par une situation pas encore maitrisée.
Ménager l’opinion
L’objectif des dirigeants du pays est de ménager l’opinion en sacrifiant l’économie. Cependant, l’économie s’accommode très mal de l’inconnu. Ce qui oriente les choix économiques, ce sont les anticipations. Le manque de visibilité conduit donc à très fortement réduire la voilure. Ainsi plus de transparence devrait se traduire par de meilleurs résultats tant sanitaires qu’économiques.
Difficile pourtant pour nos dirigeants d’annoncer, sans préparation de l’opinion, qu’il existe une forte menace sur les fêtes de fin d’année. L’exécutif garde donc la carotte d’une libération pour les fêtes en échange du respect des mesures actuelles par tous. Le pire serait de voir la grande majorité respecter les règles, pendant qu’un petit nombre les bafouent en toute impunité.
Dans une France privée de réveillons, il serait difficile d’accepter de voir certains braver les interdits en se réunissant coute que coute. Nombreux pensent déjà que les comportements irresponsables d’un petit nombre (pour beaucoup les jeunes de moins de trente ans, groupe épargné par les conséquences graves de la maladie) se traduisent par la punition pour tous les autres.
Gardons à l’esprit toutes les promesses et certitudes de ces derniers mois. Le virus disparaitra avec les beaux jours. Le masque est inutile. Les antiinflammatoires non stéroïdiens sont dangereux. Nous aurons des règles claires. Un vaccin sera disponible avant la fin de l’année. Ou encore : le retour des jours heureux, il n’y aura pas de seconde vague ni de reconfinement généralisé.
L’approche d’Esther Duflot
La proposition d’Esther Duflot, la prix Nobel d’économie – avec Abhijt Banerjee, autre Nobel d’économie – plaidait fin septembre pour un confinement préventif du 1er au 20 décembre. Cette proposition avait pour but de faire chuter le taux d’incidence et le Ro. L’objectif était de permettre de passer les fêtes de fin d’année le plus normalement possible. Une véritable levée de boucliers face à cette proposition qualifiée d’inutilement alarmiste. Avec seulement quelques semaines de recul, cette proposition semble aujourd’hui trop timorée.
Avant de déconfiner, le spectre d’une troisième vague sera dans l’esprit de tous.
Comment une suppression de célébration des fêtes de fin d’année serait-elle acceptée par la population ? Cela dépendra de nombreux facteurs. La communication gouvernementale, l’incidence du virus, la situation hospitalière, le civisme de la population. Il est clair que d’une manière ou d’une autre, les prochaines semaines seront très compliquées.
Un coup d’avance
Trop d’inconnus, pas assez de recul, une situation trop instable. Citons à cet égard les deux Nobel :
« Cela pourrait forcer le gouvernement à déclarer un reconfinement généralisé quand il sera déjà trop tard ou bien, s’il fait preuve d’un peu d’anticipation, d’interdire les voyages et les réunions familiales pour Noël. Emmanuel Macron sera donc soit le Grinch, soit le père Fouettard… La perspective n’est pas réjouissante ». Les deux économistes ajoutent « Anticiper, tel est le maitre mot des deux économistes. « C’est une solution qui a le mérite de prendre, pour une fois, de l’avance sur le virus, d’être claire, uniforme et transparente. Elle pourrait, de plus, être perçue comme le prix à payer pour une récompense immédiate, un effort collectif pour sauver Noël « .
Prendre de l’avance sur le virus, être clair, uniforme, transparent. Aucun de ces termes ne permet de rendre compte des décisions prises au cours de ces dernières semaines. A ce compte, les fêtes de fin d’année risquent d’être bien moroses.
Moins de 100 000 morts
Alors quel pourrait être le nombre total de décès liés au coronavirus ? Partant de nos projections pour lesquelles nous espérons que les grossières erreurs et approximations s’annuleront les unes les autres, prenons le risque de donner un chiffre. Pour ce faire, il faut tenir compte de nombreux autres paramètres : une meilleure prise en charge des malades ou le renforcement des gestes barrières. L’accoutumance à la pandémie et le niveau d’acceptation sociale du nombre de victimes journalières peuvent influencer le résultat final. Retenons 50% de notre calcul de 250 000 victimes pour un taux d’incidence de 500 comme point de départ. Nous aurions 125 000 décès. Ce chiffre semble très élevé au regard des décès à date (venant de franchir le seuil de 40 000). La marge d’erreur est très importante par rapport à ce point de référence.
A nouveau, nous pouvons penser, estimer, espérer que les différentes mesures permettront de faire redescendre le taux d’incidence sous le seuil de100. Ceci se traduirait par une très forte chute du nombre de morts. Il tomberait à 50 000 en conservant nos autres hypothèses. Dans ce cas, même en remontant le taux de mortalité des 60 à 75 ans à 5% et des plus de 75 ans à 10%, le nombre de victimes resterait inférieur à 75 000.
Bien loin des 400 000 cités par le Président de la République
Cela nous situerait, fort heureusement, très loin des 400 000 victimes potentielles annoncées par le Président de la République. Annonce qui a été faite quelques jours après le début du couvre-feu et avant le nouveau confinement. Alors, info ou intox ? Souhaitons que nous n’ayons pas à le vérifier. Si l’on considère les 55 millions de personnes de plus de 15 ans, 0.6% de létalité donnerait 330 000 décès, donc pas très éloignés des 400 000, mais pour une contamination à hauteur de100%. Donc à 50% l’on tomberait à 175 000 et à 25% à 87 500.
Si l’on part d’un nombre de décès de 40 000 pour une contamination de10% de la population active (notre intuition à date), cela aboutirait à 200 000 décès pour un taux de contamination de 50%. Souhaitons donc que le second confinement avec l’ensemble des mesures prises parvienne à maintenir le taux de contamination de la population à 20%. Dans ce cas, si effectivement, ce sont bien 10% de la population qui a développé des anticorps (mais pour combien de temps ?), le nombre de victimes serait de 80 000 (40 000 / 10 X 20). Par prudence, partons d’un taux d’immunité de 8%. Le nombre de victimes s’établirait à 100 000 (40 000 / 8 X 20).
Victimes collatérales
Le faible impact direct du Covid sur la surmortalité de la population générale conduit à poser une délicate question. Peut-on justifier le prix payé par la collectivité dans son ensemble imposé par les différentes mesures de restriction ? Les conséquences directes accompagnées de leurs cohortes de dommages collatéraux creusent une profonde tranchée de misère au sein de la collectivité nationale. Combien de victimes indirectes, combien de traumatismes durables ? Toutes ces personnes et ces entreprises empêchées de poursuivre leurs activités resteront longuement impactées. Un grand nombre d’entre elles ne se relèvera pas. La contrainte collective n’est-elle pas pire que la somme des conséquences individuelles ?
Nous constatons avec amertume un ensemble d’effets induits. En voulant sauver des vies humaines, nous assistons à un transfert intergénérationnel de la misère. L’une des conséquences les plus néfastes des mesures prises pour sauver des vies, en grande partie celles de nos ainés, est l’émergence d’un grand nombre de nouveaux pauvres. Une proportion importante de ces nouveaux extrêmes pauvres sont des étudiants, des jeunes sans-emploi, des mères célibataires, des chômeurs en fin de droit. Ce serait ainsi un million de personnes qui seraient tombées dans notre seul pays sous le seuil de la pauvreté en relation directe avec la crise économique engendrée par le virus. La précarité progresse rapidement dans de nombreuses catégories de la population. Les violences domestiques sont en forte augmentation dans l’univers clos des foyers. Les spécialistes témoignent d’une importante dégradation de la santé mentale d’un grand nombre de leurs patients.
La montée de la pauvreté gagne encore plus rapidement du terrain dans les pays économiquement les plus fragiles. Les jeunes enfants d’Afrique risquent d’être les premières victimes indirectes de nos réponses à la crise sanitaire.
Un faible gain pour les séniors
Autre délicat débat, proche du point précédent, à trancher. Les mesures prises ne sont-elles pas disproportionnées par rapport à l’objectif poursuivi ? En constatant l’espérance de vie des personnes épargnées grâce aux mesures restrictives de confinement et du couvre-feu, des voix se font entendre pour indiquer que l’arsenal déployé est trop massif.
Quelques sombres données pour éclairer ce débat. A 80 ans, l’espérance de vie est de 11 ans pour une femme et de neuf ans pour un homme. A 85 ans, une personne sur cinq est dépendante. L’espérance de vie à cet âge est de 7 années 7 mois pour une femme et de 6 années et 1 mois pour un homme. A 90 ans, l’espérance de vie n’est plus que de 5 ans pour une femme et de 4 ans et 2 mois pour un homme.
L’âge moyen des résidents en EHPAD est de 85 ans et dix mois (en 2015). La durée des séjours est de 2 ans et 7 mois. L’on voit ainsi que par rapport à une population âgée en moyenne de 86 ans, l’espérance de vie résiduelle des personnes en EHPAD est inférieure à la moyenne de la population du même âge. Cela n’est pas surprenant. Le souhait d’une écrasante majorité des séniors est de finir leur vie chez eux. Ce sont donc les personnes les plus fragilisées qui se trouvent dans les EHPAD et les EMS.
Fort heureusement, une très grande partie des séniors ne séjournent pas en résidence pour personnes âgées. L’on compte environ 600 000 résidents en EHPAD pour une population de près de six millions de 75 ans et plus.
Décès en EHPAD
Les décès liés au Covid touchent essentiellement des personnes fragilisées, dont une partie se trouve en EHPAD et autres maisons de retraite. Reprenons nos chiffres sur l’espérance de vie. A 86 , elle est de 7 ans pour une femme et de 5 ans et 8 mois pour un homme. Rapprochons cette donnée du séjour moyen de 2 ans et 7 mois en EHPAD. Au prix d’un grand raccourci, nous pouvons faire dire à nos chiffres que les personnes qui décèdent en EHPHAD ont une durée de vie moyenne de trois ans inférieurs à la population d’un âge équivalent.
Plus les résidents sont âgés, plus le risque de succomber au virus est élevé. Isoler les EHPAD ne permet donc à leurs occupants de ne gagner qu’un faible nombre d’années de vie.
Comme un peu moins d’un tiers des décès ont lieu en EHPAD et autres Etablissements Médicaux-Sociaux (EMS), nos ainés décèdent bien souvent à leurs domiciles et en toute fin de vie dans une structure hospitalière. Les séniors, rappelons-le, vivent en grande majorité chez eux (d’où les onze millions de proches aidants en France). C’est la raison pour laquelle la répartition des décès entre EHPAD / EMS et Hôpitaux / Domiciles est de 30 / 70%.
Isoler les séniors
Plus les hôpitaux seront encombrés, plus les services de réanimation seront saturés, moins les personnes les plus âgées pourront être prises en charge. Les malades les plus faibles ne sont pas transférés en réanimation, car leurs chances de survie sont trop basses. Le besoin de lits est trop critique.
Comme le taux de mortalité est directement corrélé à l’âge des victimes la meilleure solution ne serait-elle pas d’isoler les séniors et les personnes à risque ? Une telle approche, recommandée par certains praticiens d’un point de vue sanitaire, est difficile à faire accepter sur le plan social. Isoler un groupe spécifique d’individus, les ostraciser, ne fais pas partie de notre référentiel. D’un point de vue strictement économique, cela pourrait cependant s’avérer comme le choix le plus logique. Il serait économiquement le moins coûteux.
Certains ne manqueront pas de rappeler que l’isolement contribue aussi à diminuer l’espérance de vie moyenne des personnes âgées. Isolées, elles souffrent d’une très forte baisse de leur moral et de leur dynamisme consécutif à une désocialisation.
Question éthique
Oublié aujourd’hui la grippe de Hong Kong qui en quelques mois au cours de l’année 1968 fit plus de 30 000 victimes en France. Le pays ne fut pas mis à l’arrêt ni l’économie fauchée nette. Il est vrai que la diffusion de l’information était différente. La responsabilité des différents décideurs était moins directement mise en cause. Le diktat des oukases et des fatwas de toutes natures émanant des réseaux sociaux conduit nos dirigeants à choisir le principe de la précaution généralisée.
La sévérité des mesures restrictives peut-elle être liée aux capacités de réanimation dans les différents pays ? Le but du confinement ou du couvre-feu est de ralentir la progression de l’épidémie, de la lisser, pour ne pas submerger les hôpitaux. Pour la France, admettre pour les admissions hospitalières ou en service de réanimation n’est pas acceptable. Certains pays acceptent plus ouvertement qu’un tri soit fait (par exemple ne plus transférer en réanimation des malades âgés de plus de 85 ans).
Pas de tri en réanimation
Les admissions en réanimation atteignent les 200 personnes par jour (fin octobre), dépassent les 400 début novembre et se rapprochent rapidement des 600 du mois d’avril. Certains experts craignent de voir un afflux de nouvelles admissions pouvant dépasser 1 000 personnes par jour. Le système sanitaire ne pourrait absolument pas faire face à une telle vague. Un tri deviendrait obligatoire. Comme pour les chiffres, il faudra rechercher derrière la vérité derrière ces déclarations. La France ne pratiquera pas de tri « sélectif » (mais connait-on des tris qui ne sont pas sélectifs). Nous aurons recours à une « prioritisation ». Un mot emprunté à l’anglais, puisque chez nous, trier n’est pas admissible. Alors, laissons le personnel soignant faire la sélection médicale de ce qui n’est pas un tri, et relève d’une logique scientifique. Les mots aussi avouent facilement sous la torture.
Un très grand nombre de victimes est totalement inacceptable pour nos sociétés aseptisées. La sélection à grande échelle lors de l’admission à l’hôpital n’est pas admissible politiquement, socialement, humainement. Nos dirigeants sont contraints par le principe de précaution. Nous devons donc nous préparer à une politique de stop-and-go. Confinement, couvre-feu, semi-liberté alterneront pour tenter de garder un certain contrôle du virus. Il convient de tout faire pour maintenir le taux d’incidence sous les 100 pour 100 000 habitants.
L’on mesure ce que l’on teste
Hélas, la progression inexorable du virus, la pression médiatique et l’effet d’entrainement lié aux mesures prises par les autres pays européens n’ont pas laissé le choix à nos dirigeants. Nombreux prédisent que la seconde vague pourrait être pire que la première. En avril dernier à l’acmé de la pandémie, l’on comptait 10 000 nouveaux cas par jour. Le nombre de tests effectués était de 150 000 par semaine, soit un ratio de 1 à 15. Faute de tests en nombre suffisant, ils portaient sur des malades symptomatiques. Aujourd’hui, l’on peut dénombrer plus de 50 000 nouveaux cas par jour pour 2 millions de tests par semaine, soit un ratio de 1 à 40. Une grande majorité de ces tests sont pratiqués sur des personnes ne comportant aucun symptôme (rappelons qu’ils sont entièrement gratuits et ne demande pas d’ordonnance).
Ainsi donc, nous pourrions en conclure qu’avec un nombre d’admissions s’approchant aujourd’hui de celui du mois de mars, le nombre de cas est assez comparable. 10 000 cas du début de l’année, est équivalent à 50 000 cas aujourd’hui et si demain l’on testait tout le pays, nous aurions sans doute 100 000 ou 200 000 cas. Donc, il faut multiplier les chiffres officiels par 2, 4, 5 ou 10 selon le point de départ pour se faire une idée plus précise de la réalité. Certes, le Ro est plus faible aujourd’hui, mais le virus est répandu sur tout le territoire.
Un nombre de lits insuffisants
Il nous semble intéressant de comparer le nombre de lits de réanimation entre certains pays. Avec 3.1 lits de réanimation pour 1 000 habitants, la France se classe au 19e rang des pays de l’OCDE. Ce chiffre est de 7.8 lits au Japon, 7.1 en Corée du Sud, 6 en Allemagne. Ces pays sont justement ceux qui enregistrent les taux de mortalité parmi les plus faibles. A l’inverse, l’Italie dispose de 2.6 lits pour 1 000 habitants, les Etats-Unis de 2.4 lits et le Royaume-Uni de 2.1 lits. Ces pays sont parmi ceux qui enregistrent le taux de mortalité le plus élevé.
Peut-on expliquer la différence de mortalité entre la France d’une part et l’Allemagne ou le Japon d’autre part par un taux nettement plus élevé de lits de réanimation dans ces deux pays ? Il serait difficile de justifier cette différence par l’âge moyen de la population. L’Allemagne et le Japon sont notoirement des pays à la population âgée. L’âge médian en 2017 est de 47.3 ans au Japon, de 47.1 ans en Allemagne et de 41.3 en France.
Avouons-le, le but du confinement n’est pas de faire disparaitre le virus. Ce n’est pas de se soustraire à la tempête, juste d’en contrôler, autant que possible, ses effets dévastateurs sur les services hospitaliers. Etaler la vague, c’est-à-dire réduire son intensité, mais augmenter sa durée, permettrait de mieux gérer la situation au niveau des urgences. Si la capacité du secteur hospitalier permettait de doubler ou tripler le nombre de malades, devrions-nous prendre une série de mesures aussi drastiques ?
Certes, le coût d’un lit de réanimation est très élevé, mais sans commune mesure avec l’impact de la crise économique. L’aspect le plus critique est lié aux moyens humains, car la formation du personnel est très longue. La crise passée, il ne faudra pas perdre de vue la nécessité de créer à très grande échelle des unités d’urgence.
Mesure de l’impact hors secteur public
Imaginons que la baisse du PIB atteigne 15% sur douze mois glissants (l’année calendaire n’est pas ce qui compte pour la trésorerie de nos entreprises). Pour mesurer son impact effectif sur nos entreprises, il convient de fortement dégrader ce chiffre. Expliquons-nous. Partons de la formule généralement utilisée pour calculer le PIB qui est :
PIB = C + G + I + (X – M)
Surtout pas de panique ! Dans cette formule C représente les dépenses de consommation. G représente les dépenses gouvernementales. I représente les investissements privés et publics. X représente les exportations. M représente les importations.
Le seul point que nous voulons mettre en avant, c’est l’impact du secteur public que l’on retrouve dans « G » qui représente les dépenses gouvernementales et en partie dans « I » qui représente les investissements privés et publics. Pour faire très simple, les dépenses du secteur public représentent plus de 50% du PIB français. Le secteur public n’est que peu impacté par la crise sanitaire, nous pourrions même penser le contraire, avec l’accroissement du déficit public.
Donc, et tel est notre point, en considérant que le secteur public représente la moitié du PIB français, indiquer 10% de baisse se traduit dans les faits par une chute beaucoup plus forte du PIB dans le secteur privé. Les dépenses gouvernementales, ce sont en grande partie les salaires payés aux fonctionnaires et agents d’état, ainsi que les programmes d’investissement. Ces dépenses ne sont pas ou très peu impactées par la crise, donc ce n’est pas cette partie qui fait baisser le PIB. C’est donc la chute de l’activité du secteur privé qui entraine la baisse du PIB.
L’effondrement du PIB
Avec le premier confinement, le repli total du PIB sur douze mois glissants devrait dépasser 10%. Avec un second confinement limité dans la durée, il devrait excéder 12%. Si le confinement devait durer deux mois ou plus (jusqu’après les fêtes de fin d’année), l’on doit craindre d’approcher 15%. Nous tenons ainsi compte qu’économiquement son impact pourrait être (moitié) moindre que le premier. A ce niveau, les conséquences économiques seraient proprement indicibles. Cela pourrait se traduire par un recul du secteur privé supérieur à 20%. Difficile d’imaginer la violence du choc sur nos entreprises. Sans en être encore à ce stade, nous savons que les dépôts de bilan vont se succéder, les plans de licenciement s’accélérer.
De même que le confinement a pour but d’étaler dans le temps les hospitalisations, les aides économiques permettent de ralentir la vitesse de propagation de la crise économique. Dans de très nombreux cas, cela ne démentira pas l’expression populaire « reculer pour mieux sauter ».
Avec le premier confinement, un million d’emplois devraient disparaitre. Dans quel état sera le marché du travail au sortir du deuxième confinement ? L’on comprend dès lors les hésitations des politiques face aux exhortations du corps médical avant de recourir à une telle arme de destruction massive. Cette forte dégradation de l’emploi ne se retrouve pas encore dans les chiffres de Pôle Emploi. Les mesures de soutien à l’économie, les délais pour déclarer une cessation de paiement permettent de ralentir le mouvement. Plus de 100 000 indépendants ont vraisemblablement déjà cessé leurs activités. Ils ne bénéficient pas des indemnités de chômage, donc ne se déclarent pas à Pôle Emploi.
Sombres perspectives
Nous entendons de nombreux « spécialistes » et « experts » spéculer que la deuxième vague sera plus sévère que la première. Avec un nouveau confinement plus souple que le premier (écoles et entreprises ouvertes), la durée peut-elle être moindre ? Six semaines pour le premier, alors huit ou dix semaines pour le second ne seraient pas un pronostic fou. Les projections de l’Institut Pasteur ne poussent pas à l’optimisme. Impossible d’imaginer dans quel état serait le pays si une troisième vague frappait en mars ou avril 2021. Toutes les digues seraient rompues. Rien ne pourrait plus arrêter le chaos sanitaire.
Il est fort à redouter que les très fortes incertitudes économiques se poursuivent pendant une grande partie de l’année 2021. Elles laisseront de très nombreuses entreprises exsangues. Beaucoup de sociétés zombies, maintenues artificiellement en vie, vont devoir tôt ou tard mettre la clé sous la porte. L’hémorragie des emplois va donc se poursuivre. Oublié l’objectif de 7% de taux de chômage espérés à la fin du premier mandat d’Emanuel Macron. Il risque fort de dépasser les 12% dans le courant de l’année 2021. Le recul du PIB ne se traduit pas seulement par la disparition d’entreprises et d’emplois. Ce sont aussi de nouveaux postes et de nouveaux investissements (dont le passage au e-commerce pour les petites entreprises) qui ne voient pas le jour.
Une situation fluctuante
Aucune démonstration scientifique à l’appui de notre raisonnement, aucune méthodologie éprouvée, aucune certitude. Souvenons-nous que nous pourrons à tout moment nous rétracter, comme nous l’indiquait Alfred Sauvy.
Derrière chacune de nos projections ou hypothèses, nous devrions ajouter un prudent « en l’état actuel des connaissances ». Nous préparerions notre position de repli en indiquant « toutes choses égales par ailleurs ». Ces précautions pourraient laisser penser qu’il y a une connotation pseudo-scientifique à notre analyse. Il ne s’agit pas même d’une analyse. Tout au plus une compilation de données éparses et évolutives. Ainsi, entre le moment où nous avons débuté notre rédaction et celui où nous l’achevons, nous avons modifié plusieurs fois nos données et nos hypothèses.
Malgré tout, les grandes lignes que nous souhaitions mettre en avant (surmédiatisation de la situation sanitaire, hyper réaction face à la surchauffe des services de santé, destruction massive de valeurs ajoutées, gains nets en années de vie sauvées relativement faibles, conséquences indirectes très lourdes) sont demeurées cohérentes. La situation est fluctuante, les certitudes d’hier ne sont plus celles d’aujourd’hui. La même interrogation cependant demeure. L’approche est-elle la bonne ?
Pronostic affiné
Reprenons notre pronostic, pour l’affiner, sur le nombre total de victimes une fois la pandémie vaincue. Notre sentiment, après avoir trituré les chiffres, introduit nos propres préjugés, nous a conduits à prédire que nous resterons sous la barre des 100 000 décès. Sur la base de données récentes, la mortalité du virus semble devoir être revue à la baisse (inférieur à 0.6% ; certains évoquent même 0.3% sur l’ensemble – non connu – des cas totaux). Nous penchons pour le situer dans ou proche d’une fourchette de 75 à 80 000 victimes. Cela pour le seul Covid-19. Notre estimation se fonde sur une maitrise du virus au plus tard dans l’été 2021. Si bien entendu la pandémie se poursuivait au-delà, nous reverrions nos estimations. Ce serait le cas avec un Covid-20, 21 ou 22. Il s’agit donc des chiffres pour une période s’étendant sur 18 mois (mars 2020 – août 2021).
Les leçons du passé
Rappelons que la grippe dite « espagnole » de 1918-1919 fit de l’ordre de 250 000 victimes en France qui, il est vrai, comptait moins de 39 millions d’habitants. Les jeunes adultes furent les plus touchés (ce fut le cas de Guillaume Apollinaire à quelques jours de l’Armistice), entrainant la mort de 2% à 5% de la population mondiale. Ce fut l’épidémie la plus meurtrière depuis la Peste Noire de 1348. Espérons les choses resteront ainsi.
La grippe asiatique de 1957 fit 30 000 victimes dans notre pays. « Comparaison ne fait pas raison », mais, nous plaçons le Covid-19 entre ces deux bornes. Les Anglo-saxons utilisent l’expression « educated guess », que l’on pourrait traduire par « estimation éclairée ». Dans notre cas, estimation, certainement ; éclairée, nullement.
Un taux de létalité revu à la baisse
Le bon sens paysan, la sagesse populaire, la foi du charbonnier pourrait aussi bien nous servir de boussole. Plus fiable peut-être que chercher à donner du sens à des données grandement divergentes. Dès lors, pourquoi ne pas conclure sur une note optimiste ? Prenons le risque d’apporter une réponse à la question que tout le monde se pose. A quel moment la crise sanitaire sera-t-elle jugulée ? Tous, nous aimerions savoir quand nous serons en mesure de reprendre le cours normal de notre vie.
Empruntons sa boule de cristal à Madame Irma. Aurons-nous une thérapie efficace en mesure de réduire très fortement les décès liés au virus. Certains pensent que cette voie est plus prometteuse que la mise au point d’un vaccin. Les vues sur ce point évoluent chaque jour au gré du chaud et du froid soufflé par les laboratoires. Déjà, la meilleure connaissance du virus et les progrès dans la prise en charge des malades permettent de grandement réduire le taux de mortalité du virus. Nous assistons à une remise en cause du consensus sur l’IFR. Il passerait ainsi de 0.6% à 0.3% sur une hypothèse de 10% de la population mondiale contaminée.
Conclure avec l’espoir apporté par l’annonce des vaccins
Bien entendu, un ou plusieurs vaccins pourraient être disponibles, parmi ceux nombreux en phase d’élaboration dès le printemps 2021. Les places financières se sont envolées à l’annonce des résultats de phase 3 des laboratoires Pfizer et BioNTech. Cela nous permet de garder une vision optimiste. Nous nous abstiendrons de citer scientifiques et politiques qui doutent (-aient avant les plus récentes annonces et dont l’opinion évoluera au gré des confirmations ou démentis) de l’éminence de l’arrivée d’un vaccin efficace.
Ayons confiance dans la science et certaines voies décrites comme prometteuses. Avec un tel vaccin, en six mois une grande partie de la population serait traitée. Thérapie ou vaccin nous permettrait de retrouver enfin un « nouveau normal ». Alors, rendez-vous pour une grande fête de la libération ou même de la victoire à la fin de l’été ou à l’automne 2021. L’espoir fait vivre. Ces mots « espoir » et « vivre » ont une forte portée symbolique dans la situation du moment.
Marc SEVESTRE