Nous aurions aussi pu prendre comme titre « Vendre aux seigneurs ». Au Moyen-Age, on ne s’adressait pas aux seigneurs comme aux simples manants. De même pour vendre aux seniors, au pouvoir d’achat moyen plus élevé que la moyenne de la population, il convient d’adapter le marketing aux caractéristiques de ces consommateurs expérimentés. Citons par exemple : authenticité, empathie, transparence, promesse claire, argumentaire convaincant, juste prix, réassurance de la marque, références appropriées, packaging adapté, ce sont quelques-uns des attributs à intégrer pour emporter l’adhésion de cette population large, hétérogène et exigeante.
Un quart de la population française
Les plus de soixante ans représentent plus du quart de la population française, soit plus de quinze millions de personnes. Les personnes ayant atteint ou dépassé soixante-quinze ans sont plus de 6 millions, soit presque 10 % des habitants de notre pays. Au total, les seniors compteront pour un tiers de la population française en 2050. Cela aboutira à une pyramide des âges inversée.
Le senior marketing
De très nombreuses marques ignorent les seniors dans leur communication et semblent faire l’impasse sur ce gisement majeur de consommateurs. Dans les stratégies marketing et commerciales, les Millennials[1]ont remplacé la ménagère de cinquante ans. Sauf si l’offre n’est pas adaptée aux seniors (pour un trekking dans l’Himalaya, le cœur de cible n’est à l’évidence pas les plus de soixante-dix ans, mais les seniors sont de grands consommateurs de voyages organisés et de croisières), l’on ne peut que s’étonner de ce biais. Sans tenir compte des dépenses liées à la fin de vie, le marché des seniors est estimé à cent milliards d’euros par an, ce qui a donné naissance au concept de la « Silver Economy ». Après le Japon et l’Allemagne, la France est le pays qui compte la plus grande proportion de plus de soixante-cinq ans dans sa population.
Cela n’échappe pas à tous. Les marques et offres qui visent spécifiquement ce groupe de consommateurs sont de plus en plus nombreuses. Elles cherchent à capter ce que l’on pourrait aussi appeler l’or gris. Mais pour ce faire, comme les orpailleurs, il faut disposer des bons outils. Les exemples de l’AARP[2] aux USA ou de SAGA[3] en Grande-Bretagne démontrent qu’il est possible de créer des géants commerciaux en ne visant qu’une cible de seniors.
Marketing générationnel et transgénérationnel
Conquérir les seniors peut se faire avec des produits et services spécifiquement conçus pour eux :
- aménagement du domicile,
- téléassistance,
- nutrition,
- compléments alimentaires,
- résidences seniors,
- produits technologiques simplifiés et nombre de produits connectés – Internet of Things ou IoT – contribuant au maintien à domicile,
- achats pour les petits-enfants,
- dons aux organismes,
- assurances dédiées …
Il existe des marques[4] (et de nombreux salons, évènements, associations) à forte connotation seniors (à titre d’exemples, l’on peut citer Doro, Notre Temps, Pleine Vie, Damart, BlueLinea, Vacances Bleues, Les Senioriales, Daxon, Audika, Petits-Fils, O2 …).
D’autres marques multigénérationnelles ont fait le choix de différencier leurs stratégies marketing pour présenter, avec des codes adaptés aux seniors, leurs offres standards. Elles recourent à une communication générationnelle : Danone avec Actimel, la SNCF et la Carte Senior+, Vuitton, AG2R, BNP Paribas, de nombreuses offres de voyages et croisières, Volkswagen et d’autres constructeurs automobiles, Evian avec un mannequin senior pour illustrer le concept de « live young », L’Oréal avec Jane Fonda comme égérie, Patek Philippe avec la transmission d’une génération à l’autre, H&M qui entend se renforcer sur une cible plus senior, Ikea avec un couple senior….
Certaines marques n’hésitent pas à utiliser l’image des seniors pour valoriser leurs produits. Les références historiques sont Vedette avec la mère Denis et Lustucru avec Germaine.
Un pouvoir d’achat élevé
A n’en pas douter et au regard de sa croissance prévisible, le potentiel du marché des seniors est majeur, ce qui fait dire à certains qu’il est possible de transformer l’argent en or, car la silver économie peut se transformer en véritable poule aux œufs d’or.
Le pouvoir d’achat des seniors est supérieur à la moyenne nationale : 25 130 € par personne en 2015 (10 % plus élevé que celui des 25 – 39 ans, cœur de cible de nombreuses campagnes publicitaires). Ils ont un taux de pauvreté très inférieur à la moyenne nationale. Les plus de 50 ans disposent de plus de 50 % du total des revenus nets des ménages et de 60 % du patrimoine total des Français. Les plus de 55 ans représentaient en 2017 43 % de la population française et 55 % de la consommation nationale (dont 64 % pour les dépenses de santé et 60 % pour les dépenses alimentaires).
Un marché hétérogène
L’univers des seniors est hétérogène. Il convient de segmenter cette cible en distinguant les jeunes seniors (avant 65 ans), les grands seniors à partir de 75 ou 80 ans et donc les seniors entre 65 et 80 ans. Il convient de tenir compte des évènements majeurs qui jalonnent la vie des seniors tels le départ à la retraite, le décès des parents, les problèmes de santé, la dépendance éventuelle et l’entrée en maison de retraite ou en établissement spécialisé. Avant 75 ans, les seniors sont actifs et tournés vers l’extérieur, après 75 ans les préoccupations vont plus vers le maintien à domicile, la santé, l’aménagement de l’habitat, les services à la personne.
Les biens et services consommés changent donc drastiquement avec l’âge. Si 61 % des personnes dans la tranche d’âge 60 – 69 ans fréquentent des hôtels, restaurants et cafés, ce taux tombe à 34 % pour les 80 ans et plus. Une bonne façon d’anticiper les changements dans les habitudes de consommation des seniors à mesure qu’ils prennent de l’âge est de penser aux contraintes imposées par le passage de la mobilité à l’immobilité, ou d’une focalisation vers l’extérieur et les autres à un repli vers l’intérieur et sur soi. Il faut intégrer les « influencers » dans le marketing des seniors. Pour les plus de 75 ans, les proches aidants jouent un grand rôle dans les choix de consommation: ils sont souvent sont ceux qui tiennent les cordons de la bourse de leurs ainés, et donc ce sont eux qui peuvent être la cible première pour atteindre les grands seniors.
Un marketing spécifique
Pour pénétrer durablement le marché des seniors, il faut en adopter les codes et utiliser une communication adaptée à cette cible. Il faut savoir penser avec et pour le consommateur âgé.
Certaines marques hésitent à avoir une orientation ouvertement trop senior de peur de « vieillir » leur image. Toutefois, avec le marketing différencié ou générationnel, il est possible d’adresser des messages spécifiques à destination des seniors. Et ceci à un coût moindre que celui d’une communication touchant l’ensemble du public.
Il faut en finir avec ce parti-pris du jeunisme. Vendre aux seniors trouve toute sa justification dans une stratégie marketing bien pensée. Les seniors sont les plus gros consommateurs de télévision (cinq heures par jour). L’âge moyen de l’audience est en constante augmentation (50,7 ans en 2015). Comme ils consomment la télévision en heures creuses, ces plages permettent de diffuser des messages plus longs. Cela facilite le recours à la technique de l’infomercial. Ce format permet de détailler plus longuement l’offre, de la mettre en situation, de rassurer. Les heures creuses permettent d’équilibrer les flux et les coûts (par exemple pour les centres d’appels, mais bien sûr avec des téléopérateurs en adéquation avec la cible).
La télévision est donc un moyen de créer un attachement à la marque. La radio a toutefois le plus fort taux de pénétration chez les 65 ans et plus. La presse spécialisée (Notre Temps, Pleine Vie), santé, people et TV a aussi une très forte influence chez les seniors.
Une communication adaptée
Pour bien communiquer avec les seniors, il faut travailler avec des agences de publicité, de communication. Des réseaux sociaux ont également une expertise démontrée sur cette cible. La communication et les modes d’emploi doivent être clairs. La lisibilité est importante (gros caractères, bande-son épurée). Il ne faut pas avoir peur de donner de solides explications, argumenter l’offre, plus que marteler de simples slogans. Un texte un peu long n’est pas un repoussoir. Il faut savoir intégrer les désagréments liés à l’âge dans la communication et l’usage (presbytie, diminution de l’audition, raideurs articulaires).
Il convient d’utiliser des références adaptées aux générations des seniors. Avec des icônes auxquelles ils peuvent s’identifier[5], tout en tenant compte de l’écart important qui existe entre l’âge réel et l’âge ressenti (presque vingt ans pour un jeune senior de 65 ans). Mais il faut aussi créer un cadre familier pour les seniors en les mettant en situation avec d’autres seniors ou en famille. Les valeurs véhiculées sont plutôt traditionnelles et conformistes (authenticité, sécurité).
Un attachement à la marque
La marque est importante pour les seniors. Plus ils avancent en âge, plus ils se dirigent vers des marques rassurantes. Les seniors consomment pour eux et non pour le paraître. Les achats d’impulsion se réduisent ainsi que la demande pour des produits statutaires. Ils sont remplacés par la consommation de produits et services répondant à de réels besoins.
Créer un attachement à la marque est donc crucial. Avec l’allongement de la durée de la vie, les seniors peuvent rester consommateurs sur de longues années. Ils préfèrent les marques nationales aux marques de distributeurs et fréquentent plus les magasins physiques que la moyenne des Français. Ils valorisent le service. Le parcours client et l’offre doivent être adaptés :
- happy senior hours pendant les périodes creuses de la journée,
- proposition de petits formats faciles à atteindre et à manipuler,
- livraison à domicile à des heures adaptées,
- création d’espaces de pause,
- recours à des vendeurs formés à cette population…
Le digital aussi
Contrairement à certaines idées reçues, les « poivres et sels » sont en majorité à l’aise avec internet. C’est également le cas avec les réseaux sociaux et la technologie. 15 % des utilisateurs de Facebook ont plus de 65 ans. Un retraité sur deux effectue des achats sur internet. Bien entendu l’usage du digital décroît avec l’âge. Selon une enquête de 2016 d’Happy Silvers :
- 80 % des 61 – 65 ans utilisent internet
- 76 % des 66 – 70 ans utilisent internet.
- 51 % des 71 – 75 ans utilisent internet
- 27 % pour les plus de 76 ans.
L’outil digital devenant de plus en plus facile d’utilisation et les nouveaux seniors étant familiarisés depuis de nombreuses années avec l’internet, au fil du temps la baisse d’usage du digital avec l’âge devrait être moins prononcée. Aux Etats-Unis, 56 % des plus de 65 ans utilisent aujourd’hui Facebook, contre 35 % en 2012, ce qui montre la rapidité d’évolution des comportements.
Le marché de l’internet des objets s’imposera de plus en plus auprès des seniors en facilitant le bien vieillir. Sont proposés par exemple un certain nombre de produits pour le maintien à domicile, l’autodiagnostic et l’e-santé.
Il est ainsi désormais possible de parler de Senior 2.0, de silvernaute, de silver surfer, de silver shopper. Disposant de temps, les seniors lisent leurs mails et donc sont réceptifs à l’e-marketing.
Pour rester dans la course du marché des seniors, il importe pour les marques de savoir évoluer aussi vite que les seniors eux-mêmes. Ils ne sont pas « digital native » mais majoritairement « digital reactive ». L’importance du secteur et le faible niveau d’offres adaptées font qu’il existe aujourd’hui de très importantes opportunités pour les entreprises qui souhaitent se développer dans la Silver Economy. Alors, n’hésitons pas à affirmer que les seniors, c’est l’avenir du commerce traditionnel ou électronique.
Marc SEVESTRE
Sources : Wikipedia, INSEE, emarketing, Happy Silvers, Seniorenforme.com, Influencers Europe, Pew Research Center, Credoc, LSA, Laposte.fr, marketing-professionnels.fr, Observatoire des Seniors, Le Silver Marketing (F. Aribaud / J-P. Tréguer – Dunod), TNS-Sofres, Ma Vie en Silver, Happy Silvers
[1]Les Millennials ou la génération Y représentent les personnes nées dans les années 80 à 95, donc les trentenaires d’aujourd’hui, suivant la génération X pour les années 60 à 80, ayant eux-mêmes succédé aux fameux baby-boomers (génération G), la génération de l’après-guerre et les plus seniors de la génération T, nés entre 1920 et 1945. La génération Z ou les digital natives, sont nés après 1995, avec « un clavier sous les doigts », ils ne peuvent pas envisager de ne pas être connecté en permanence.
[2]AARP : American Association of Retired People offre à ses 40 millions d’adhérents un ensemble de biens et services (à partir d’un socle d’assurances et de voyages) à destination des plus de cinquante ans.
[3]SAGA : Equivalent d’AARP en Grande-Bretagne, avec trois millions de membres (10 % des seniors du pays)
[4]Plus de 2000 structures sont référencées dans l’annuaire 2019 de la Silver Economie
[5] Citons quelques personnalités utilisées par différentes marques, telles Alain Afflelou, Annie Duperey, Robert Hossein, Catherine Deneuve, Eva Longoria, Julia Roberts, Sean Connery …