Gilets Jaunes, grève des transports, débat sur l’âge du départ à la retraite autant de sujets qui mobilisent l’attention des médias. En octobre dernier, l’actualité sociale moins chargée permettait aux journalistes de se pencher sur le congé Proche Aidant. Ce congé entrera en vigueur en octobre 2020. Il est d’une portée limitée. Bien que symbolique il représente cependant un pas dans la bonne direction.
Les Proches Aidants, une contribution critique
Revenons sur le congé Proche Aidant, son objet et ses limites. Selon les sources, les Aidants Familiaux, désormais désignés à juste titre, Proches Aidants sont plus de dix millions. Certains avancent même onze millions, pour d’autres ils seraient 8.3 millions. Mais pourquoi ce manque de précision? C’est sans doute lié au fait que de nombreux proches aidants (la famille surtout, mais aussi des amis, voisins ) – et de nombreux autoentrepreneurs à la tête de petites structures qui prennent chacun en charge un petit nombre de personnes dépendantes – ne se reconnaissent pas comme tel. Donc ils ignorent souvent l’importance critique qu’ils jouent pour le maintien à domicile d’une large population fragilisée.
Mais sans l’aide au quotidien de ces millions d’aidants, comment tous ces aidés pourraient-ils rester chez eux ? Tous sont âgés, handicapés ou fragilisés. Faire un geste financier en faveur des aidants nous semble, relever du pur bon sens. Comment notre pays pourrait-il faire face à l’inadaptation de ses structures pour la prise en charge d’une population vieillissante ou souffrant d’handicaps sans l’apport massif des aidants?
Congé proche aidant : un pas dans la bonne direction
Selon le texte de la nouvelle loi, les aidants soutenant un proche âgé, malade ou handicapé pourront bénéficier d’un congé indemnisé de trois mois à compter du premier janvier 2020. Il s’agit d’un congé pouvant être fractionné et destiné aux aidants salariés, travailleurs indépendants, agents publics. L’indemnisation est de 43€ par jour pour une personne vivant en couple. Elle est de 52€ pour une personne isolée. Le montant est identique à celui versé pour le congé enfant malade. C’est un congé faiblement rémunéré. S’il n’a pas autres ressources, l’aidant se trouvera proche du seuil de pauvreté. Ce seuil est, selon l’INSEE, de 1041€ par mois pour une personne seule. N’oublions pas que bien souvent l’aidant doit prendre en charge des dépenses supplémentaires liées à la pathologie de son aidé. La précarité financière dans laquelle se trouvent de nombreux aidants contribue aussi à leurs détresses psychologiques.
Mais ces indemnisations restent modestes. Au total le coût pour le budget de l’état ne dépassera pas une centaine de millions d’euros par an. Cette mesure complète le congé proche aidant instauré en 2016 qui n’était pas indemnisé. Ce coût annuel ne représente qu’une très faible compensation de la valeur marchande des services rendus par les proches aidants. Sur une base annuelle elle est estimée à six milliards d’euros.
Les plus de dix millions de proches aidants (dont 60% de femmes), qui soutiennent un proche en perte d’autonomie (santé ou handicap), voient leurs conditions de vie et de santé impactées (20% des aidants familiaux par manque de temps ou d’argent renoncent à leurs propres soins). Alors il est certainement difficile pour eux d’afficher le même optimisme que la ministre de la Santé. Agnès Buzyn se dit « très fière de porter cette mesure » et d’ajouter même qu’elle crée une « politique publique dédiée aux aidants ».
Une mesure limitée
Même s’il s’agit d’un pas dans le bon sens, cette mesure reste limitée dans le temps. Pour les ayants droit, la durée maximum de ce congé est de trois mois. Pourtant de très nombreux aidants le sont sur une longue durée. Par exemple le cas de parents s’occupant d’enfants handicapés.
Les deux critères d’attribution sont l’âge et le handicap. Il faut que la personne aidée doit être reconnue handicapée permanente à plus de 80% ou que la perte d’autonomie corresponde aux critères retenus pour l’attribution de l’APA (Allocation Personnalisée d’Autonomie). Rappelons que notre pays compte douze millions de personnes atteintes d’un handicap – soit près de 20% de la population totale. Et aussi 2.5 millions de seniors en perte d’autonomie. Un chiffre qui pourrait atteindre 4 millions en 2050. Ceci fait que le congé proche aidant exclut l’aide apportée à un très grand nombre d’aidés grandement dépendant au quotidien de leurs aidants.
La condition d’accès à ce congé est bien entendu d’avoir un emploi. Ainsi près de 40% des proches aidants ne peuvent donc pas profiter de ce congé (même si dans bien des cas la charge est nettement plus contraignante que celle liée à un emploi salarié).
Comme l’indemnisation est très faible et peut se montrer pénalisante pour la carrière (et la retraite), le nombre de salariés qui devrait vouloir ou pouvoir profiter de congé Proche Aidant devrait être relativement faible.
Adaptation de la société au vieillissement
Certes le congé proche aidant est une avancée dans la bonne direction, mais il manque d’ampleur. La fonction de proche aidant relève souvent de la course de fond ou de l’épreuve d’endurance. D’une durée de trois mois dans le cadre général, sans pouvoir dépasser un an sur l’ensemble d’une carrière, limité aux personnes en activité professionnelle et indemnisée sur des bases très faibles, le congé proche aidant devra nettement étendre son champ. Nos gouvernements successifs contribuent à la médiatisation et à la sensibilisation du rôle critique des proches aidants. Dans une société en rapide voie de vieillissement et mal préparée aux besoins, à la précarité et à l’épuisement de nombreux aidants, c’est important.
Si le couvercle de la boite de pandore est entrouvert, il ne faut surtout pas le refermer. Le problème sociétal de la condition des proches aidants ne fera que se renforcer. C’est en apportant des réponses courageuses et pérennes que la France répondra à la promesse du 1er janvier 2016. Promesse faite sous le beau titre de « loi relative à l’adaptation de la société au vieillissement».
Marc SEVESTRE