Les vagues successives du coronavirus ont démontré à quel point la situation est critique dans les services des urgences de nos hôpitaux. Le budget santé de la France est conséquent et supérieur à la moyenne de pays comparables. Mais un passage aux urgences peut être une expérience traumatisante.Trop fréquemment, l’on trouve des patients attendant des heures sur un brancard dans un couloir, avant une prise en charge de l’urgence par un personnel en sous-effectif et submergé. Le besoin d’armer plus de lits continuera de progresser alors que la population vieillit. Cependant, cela prend des années pour former le personnel. La cause profonde trouve son origine dans la rareté des médecins dans de larges zones du territoire, qualifiées de « déserts médicaux ». Seule une transformation en profondeur du système médical français permettra d’éviter qu’un passage aux urgences s’apparente à un séjour en enfer.
Malgré l’importance des sommes consacrées au système de santé en France, la situation dans les différents services de nos hôpitaux est bien souvent critique. Cela est tout particulièrement le cas aux urgences et dans les services de soins critiques. La crise sanitaire sans précédent à laquelle nous sommes confrontés depuis le début de l’année 2020 nous a permis de prendre conscience des trop faibles capacités d’accueil dans la plupart des services de nos hôpitaux. Le constat est partout le même : manque de personnel médical, services saturés, système en surchauffe permanente. Au moindre rebond épidémique, la situation en réanimation devient critique. Sans une réforme profonde, augmenter le budget de la santé, revient trop souvent à verser de l’eau sur du sable.
A la merci de nouveaux virus
Les nouvelles vagues se traduisent fort heureusement par un nombre décroissant de patients atteints des formes les plus graves. Les experts et l’OMS se veulent rassurants face à la huitième vague. La population est relativement bien protégée (vaccination et immunité collective). Les nouveaux vaccins à ARN Messager dits « bivalents » ciblent la souche initiale du Sars-Cov-2 et le variant Omicron. La population à risques (les plus de soixante ans, les personnes immunodéprimées, l’entourage de ces personnes) est incitée à se faire vacciner (soit pour certains une cinquième dose). L’on devrait donc pouvoir éviter l’engorgement total des réanimations. Nous passerions ainsi cette nouvelle vague sans avoir à prendre des mesures extrêmes.
Le virus est cependant devenu endémique, au même titre que la grippe saisonnière. Nous vivons sur le fil du rasoir car il peut évoluer vers des formes plus graves, plus résistantes aux vaccins actuels. De nouveaux virus apparaitront. A tout moment donc la situation peut basculer. Dès lors, nous pourrions à nouveau connaitre une situation nous rappelant les heures les plus sombres des premières vagues.
La Cour des Miracles
Ceux qui ont dû se rendre aux urgences en gardent bien souvent un très mauvais souvenir. Ni la compétence, ni le dévouement du personnel ne sont remis en cause, bien au contraire. Mais le manque de moyens, la surcharge de travail sont criants. Les médias se font l’écho des attentes interminables sur des brancards dans les couloirs aux urgences. Des cas extrêmes, rares fort heureusement, de patients qui décèdent aux urgences, oubliés dans un coin, sans aucune prise en charge.
Les urgences s’apparentent trop souvent à la Cour des Miracles. Il est fréquent de devoir patienter plusieurs heures, dans un couloir au milieu d’autres malades atteints de pathologies diverses. Adieu intimité et pudeur. Bonjour attente interminable de soins qui ne viennent pas. Pas d’information, pas d’eau, ni de nourriture, réseau téléphonique inexistant, impossibilité de pouvoir échanger avec des proches. A la détresse physique vient donc s’ajouter une détresse morale pourtant évitable.
Les urgences en situation critique
La situation aux urgences est tendue quand le virus circule à faible niveau et que le nombre de patients Covid en soins critiques est bas (moins de mille). Au plus fort de la crise pandémique, le nombre de lits de réanimation occupés par des les cas les plus graves a dépassé les sept milles. Une situation intenable et inquiétante. En effet, en temps « normal » la France compte un peu moins de 6 000 lits de réanimation. Cette capacité a été portée à 10 700 lits « armés » au plus fort de la crise sanitaire en avril 2020[1].
Cela a contraint les établissements de soins à se réorganiser pour faire face à l’afflux de malades. Les autres interventions, certaines même vitales, ont dû être déprogrammées, le personnel soignant réaffecté. Les patients les plus âgés, les plus faibles, décédaient dans les EHPADs, sans même être hospitalisés. Dès lors, la crainte est grande de voir une forme nouvelle du virus se développer. Douloureux de penser à un scénario catastrophe dans lequel une mutation résisterait à la protection apportée par la vaccination.
Fin de vie
Les personnes qui arrivent en fin de vie expriment leur désarroi. L’on comprend aisément le souhait de près de 90% des Français de s’éteindre à leur domicile, dans un cadre familier, près de leurs proches. Cependant, seulement 37% de nos concitoyens décèdent chez eux. Dans trois quarts des cas, les décès à l’hôpital se font loin des proches.
Se rendre à l’hôpital, aux urgences, en soins intensifs, en gériatrie ou dans les autres services est plus traumatisant que nécessaire (manque d’information, déshumanisation). Fort heureusement, la qualité des soins est le plus souvent bonne grâce au dévouement d’un personnel soignant surmené.
Augmenter les capacités des urgences
Face à la situation de crise que traverse le système hospitalier français en général et les urgences en particulier, nombreux sont ceux qui appellent de leurs vœux une forte augmentation du budget de santé.
A chaque pic aux urgences, l’on entend qu’il faut augmenter le nombre de lits de réanimation. Avec le vieillissement de la population, nos 6 000 lits de réanimation sont nettement insuffisants. Hors situation de crise, il faudrait ajouter au moins 1 000 lits supplémentaires d’ici à 2030.
L’Allemagne compte 28 000 lits de réanimation, soit 6 lits pour 1 000 habitants. Rapporté à la population, c’est près du double de la France ou de l’Italie.
Ne nous faisons aucune illusion. La situation restera longtemps tendue. Former le personnel demande de nombreuses années. Ouvrir le chéquier ne permet pas de résoudre le problème à court terme. La situation aux urgences traduit aussi la dégradation de la médecine de ville à l’échelle de la France entière. Les urgences sont trop souvent le dernier recours, et se voient confronter à des actes qui relèvent de la médecine de ville. Quelle autre solution lorsque l’on habite dans un désert médical que se rendre aux urgences ? Quand les médecins ne se déplacent plus, c’est le 15 que l’on appelle.
Un effort financier considérable
La question n’est cependant pas nécessairement de savoir si la France consacre suffisamment de ressources à la santé de ses habitants. Contrairement à certaines idées reçues, le pays consacre plus de sa richesse nationale à la santé que la Suède, le Japon ou le Canada. Parmi les pays développés, seuls les Etats-Unis, l’Allemagne ou la Suisse nous dépassent.
Les dépenses de santé sont en constante augmentation. Selon le rapport de la Drees, elles représentent 12.4% du PIB (284.5 milliards d’euros) en 2020 (contre 11.8%) en 2018. La France est ainsi l’un des pays qui consacrent le plus fort pourcentage de son PIB aux dépenses de santé courante.
Se pourrait-il que ce ne soit pas tant le montant absolu consacré à la santé qui est en cause, mais l’efficacité de ces dépenses ? Lourdeurs bureaucratiques, politique du rendement, médecins sur-consommateurs d’actes inutiles, fraude massive, absentéisme. N’est-il pas révélateur qu’au cours de leurs longues années d’études, le cursus des médecins n’aborde en aucune façon l’économie de la santé, le bénéfice / coût des diverses procédures.
Colmater les brèches de plus en plus profondes et nombreuses, dépenser toujours plus et sans vison d’ensemble ne permettra pas d’endiguer le mal à la racine. Il est urgent de réformer en profondeur le système de santé. Saurons-nous trouver la voie d’une médecine à visage humain ? Parviendrons-nous un jour à rendre obsolète la description d’Hervé Guibert ? « Un séjour à l’hôpital, c’est comme un très long voyage … L’hôpital, c’est l’enfer[2] ».
Marc SEVESTRE