« Les pays du monde entier restent fragiles face à l’émergence ou à l’introduction d’un nouvel agent pathogène susceptible d’être à l’origine d’une pandémie dévastatrice inédite ». Cette phrase relevée dans le dernier rapport annuel de la CIA[1] traduit l’inquiétude de la Centrale américaine de renseignements. Parmi les menaces en mesure de gravement compromettre la sécurité des Etats-Unis, l’agence américaine retient divers scénarios de guerre, cyberattaques, cyberterrorisme et cybercriminalité ainsi que des dérèglements climatiques, la criminalité organisée, la prolifération nucléaire.
C’est cependant la possibilité que fait peser sur la santé publique mondiale l’émergence d’un nouveau virus qui représente la menace la plus effrayante. Son pouvoir dévastateur pourrait être bien pire que ne l’a été – et le reste – le Covid-19, tant d’un point de vue sanitaire qu’économique. Si éprouvante et si impactante qu’elle le fût, la crise liée au Covid-19 pourrait n’avoir été que le pâle prequel d’un scénario catastrophe s’apparentant au déferlement d’une arme de destruction massive à l’échelle planétaire.
Une pandémie dévastatrice inédite
« Une pandémie dévastatrice inédite ». Des mots lourds de sous-entendus qui font froid dans le dos. Une contamination bien pire que celle dont nous sortons à peine après quatre années de crise sanitaire ! Les sept à dix millions de morts ne seraient rien face à la menace d’une pandémie d’une ampleur sans commune mesure avec celle que nous venons de traverser. Outre le bilan humain, n’oublions pas les milliers de milliards de dollars que cette crise sanitaire a coûtée aux économies du monde entier. Le SARS-CoV-2, le virus responsable du Covid-19, est responsable d’une dette abyssale que nous léguons aux générations futures.
Dans son analyse la CIA – gardons-nous d’utiliser le terme de prophétie, même si la question n’est pas de savoir « si », mais « quand » – parle d’émergence ou d’introduction. Nous analysons cela comme soit l’apparition involontaire, soit à la diffusion volontaire d’un agent pathogène aux capacités contaminatrices et mortelles effroyables.
Un autre mot qui retient notre attention, tout en élevant notre niveau d’anxiété, se trouve dans le titre même du rapport : « Les défis cruciaux et les menaces immédiates ». L’immédiateté, alors même que nous nous relevons difficilement de la précédente crise sanitaire, est source d’une grande inquiétude.
Un monde bipolarisé
Le Covid, la guerre en Ukraine, les dérèglements climatiques (réchauffement, inondations, sécheresses), les pénuries, l’inflation sont autant de facteurs qui conduisent à la bipolarisation de la société.
D’une part, il y a ceux qui peuvent s’adapter, ne pas être impactés financièrement par la crise. Le télétravail, pour les actifs qui peuvent en bénéficier, est à un niveau cinq fois plus élevé que dans l’ère pré-Covid. Les marchés financiers sont au plus hauts, comme l’est l’immobilier. La technologie progresse à une vitesse fulgurante.
Mais, il y a les laissés pour compte. Les emplois les moins qualifiés aux revenus les plus faibles. Pour eux, le pouvoir d’achat est laminé par une hausse particulièrement marquée pour les produits de première nécessité. Comment ne pas aussi évoquer le sort des séniors ? Beaucoup de retraités ne disposent que d’une faible pension et peinent à faire face aux dépenses essentielles au crépuscule de leurs vies. Ce sont eux qui ont aussi payé le plus lourd tribut au Covid. Surmortalité et isolement furent leurs tristes lots pendant les confinements à répétition. Lors d’une prochaine pandémie, ce seront à nouveau nos ainés qui en subiront le plus dramatiquement les effets.
Le risque pandémique est le plus inquiétant
La CIA s’inquiète de nombreux risques climatiques et géopolitiques. C’est cependant le risque pandémique qui nous semble le plus prégnant. De la longue liste des menaces, l’émergence d’un nouveau virus revêt le caractère le plus tangible et le plus inéluctable. En effet, les facteurs d’apparition et de diffusion de la maladie ne cessent de se multiplier. Nous l’avons bien observé avec le Covid-19, la mondialisation facilite la propagation du virus à l’échelle mondiale. Les économies les plus pauvres ne sont pas en mesure de mettre en place les réponses sanitaires appropriées. Les populations les plus déshéritées sont les plus touchées. L’urbanisation et la promiscuité sont autant de vecteurs de diffusion.
Face à un afflux de malades, les systèmes de santé publique sont rapidement submergés. Aujourd’hui, le personnel médical est à bout de souffle, exsangue, exténué par quatre années de crise. Les « fake news » tendent à jeter le discrédit sur les mesures prises par les gouvernements. Autant de freins pour tenter de ralentir les vagues successives du déferlement du virus. Le rapport note l’absence de normes mondiales de biosécurité. Il cite également les lacunes généralisées en matière de préparation à une menace pandémique. Et tout aussi les réponses disparates des différents pays face à la maladie. Autant de facteurs qui ne peuvent que renforcer la crainte de la survenance d’un évènement catastrophique à l’échelle planétaire.
Covid-19, des leçons insuffisantes
« Plus jamais ça ». Nous allons relocaliser, réindustrialiser le pays. Telle était la promesse de nos dirigeants et de ceux de nombreux autres pays. Jamais plus nous ne nous trouverons démunis face à la pénurie des masques et des respirateurs. Il ne nous faudra plus acheter à l’autre bout de la planète les principes actifs des médicaments. Il nous faudra consentir les efforts suffisants pour pallier les lacunes du système de santé. Nous remédierons au nombre très insuffisant de lits dans les unités d’urgence. La prise en charge de nos séniors en fin de vie sera une priorité nationale. Nous prendrons soin de la planète. Les gestes barrières sont rentrés dans les mœurs. Le tourisme de masse à vécu. Le recours au télétravail est une réalité.
Que de promesses, qui n’engagent que ceux qui y croient ! Les vieilles habitudes ont la vie dure. Les contingences économiques et les contraintes budgétaires ont tôt eu raison des intentions les plus louables. L’orthodoxie budgétaire nous ramène aux principes de réalité. A l’échelle planétaire, le Covid-19 s’est déjà traduit par des milliers de milliards d’euros de dettes que nous léguerons aux générations futures. Serons-nous mieux à même de faire face à la prochaine pandémie ? Rien de moins certain. La pénurie du personnel de santé ne devrait pas se résorber. Les services d’aide à la personne semblent durablement devoir se trouver confronter à un important sous-effectif. Le scepticisme et la désinformation gagnent du terrain. Les instances sanitaires internationales (au premier rang desquelles l’OMS) ne parviennent pas à harmoniser et coordonner les mesures préventives et les réponses globales en cas de pandémie avérée.
Un signal d’alarme
Le rapport de la CIA analyse l’ensemble des risques qui peuvent menacer la sécurité des Etats-Unis et de ses alliés. Risques qui seraient en mesure de porter atteinte à la stabilité et à l’équilibre mondial et qui sont par nature anxiogènes.
Le Covid-19 nous a dramatiquement rappelé notre grande interdépendance et notre forte vulnérabilité. La cause initiale du virus n’est pas connue avec certitude. Elle peut trouver son origine dans une transmission entre espèces sur un marché alimentaire ou dans un accident de laboratoire. Cependant et du fait de l’emprise de l’homme sur la planète, un incident isolé peut rapidement se transformer en crise mondiale. Le Covid-19 nous servira-t-il de signal d’alarme salutaire ? Saurons-nous mieux affronter une future pandémie de plus grande ampleur, résistante à la vaccination ?
De même, saurons-nous tirer les leçons de l’agression de la Russie contre l’Ukraine ? Une attaque qui a contribué à aggraver la fragilité de l’économie mondiale au sortir de la pandémie. Cette confrontation aigüe, malgré toute son exposition médiatique, reste localisée aux portes de l’Europe. Nous permettra-t-elle d’anticiper et de prévenir les conséquences qu’aurait une attaque directe de la République populaire de Chine sur son ex-province de Taïwan [2]? Les visées expansionnistes de la Chine du fait de sa posture, de son poids économique et géographique et de l’importance stratégique et technologique[3] de Taïwan, contrairement à la guerre en Ukraine, seraient susceptibles de rapidement se traduire en une déflagration mondiale.
Deux risques pour notre avenir
Nous devons ainsi anticiper l’apparition d’un nouveau virus plus résistant et plus contagieux que celui du Covid-19. Il existe un autre grand défi auquel nous risquons de nous trouver confrontés. Il s’agit du risque d’invasion de l’ile de Taïwan par son puissant voisin chinois. Deux lourdes menaces pour l’équilibre de la planète et la santé de ses habitants. Cela ne doit cependant pas nous faire oublier d’autres risques bien réels. Qu’il s’agisse de la dépendance totale à l’outil informatique pour tous les actes. Ceci rend le monde excessivement vulnérable au risque cyber. Comment ne pas s’effrayer de la banalisation des armes de destructions massives (nucléaires, biologiques et chimiques)? Armes qui se trouvent désormais dans les mains de despotes irresponsables.
Marc SEVESTRE
[1] Les défis cruciaux et les menaces immédiates vus par la CIA. Analyse, faits et chiffres. Equateurs Document. Avril 2023.
[2] Taïwan a été cédée à l’Empire du Japon en 1895 à l’issue de la guerre sino-japonaise (1894-1895) par le traité de Shimonoseki. Remis à l’ONU après la défaite du Japon en 1945 et devient la République de Chine.
[3] Taïwan concentre sur son territoire 65 % de la capacité mondiale de production de semi-conducteurs et sa domination est encore plus forte pour les processeurs les plus sophistiqués.