Malgré la crise sanitaire toujours présente, tout autant que la tragédie qui se déroule aux frontières de l’Union européenne, est-il possible de voir La Vie en Rose ? Au sortir de la Deuxième Guerre mondiale, la France entière fredonnait l’air rendu célèbre par Edit Piaf. Les économies étaient détruites, les victimes se comptaient en millions, et pourtant le pays chantait la victoire à l’unisson. C’est une autre forme de guerre que le virus du Covid a livré à la planète. Economies gravement touchées, des millions de morts, la première épidémie de masse du XXIe siècle laissera de profondes traces. Alors, plus de deux ans après les premières manifestations du Coronavirus, les raisons d’espérer sont nombreuses. Tout autant que les lourdes incertitudes qui pèsent sur la conjoncture.
Loué soir l’ARN Messager
Jamais grâce ne sera suffisamment rendue à la recherche médicale. Faute d’une très rapide mise sur le marché du vaccin ARN messager (acide ribonucléique), en mesure de contenir les formes actuelles les plus graves des différents variants, notre situation resterait critique. Il n’y a qu’à voir les conditions draconiennes des confinements imposés à de très nombreux Chinois. Avec une population plus faiblement vaccinée que celle des pays occidentaux les plus avancés, utilisant le vaccin Sinovac moins performant, tout en se réclamant d’une politique du zéro-Covid, pour de nombreux Chinois la crise est un véritable cauchemar.
Katalin Kariko, la biochimiste d’origine hongroise et naturalisée américaine, obtiendra-t-elle le prix Nobel de médecine? Elle a été la première à maitriser les réactions immunitaires liées à la transcription de l’ARN messager. Ce ne serait que la juste reconnaissance de l’immense contribution à l’humanité par cette chercheuse. Cela même si l’ARN messager proprement dit a été découvert en 1961 par trois chercheurs français de l’Institut Pasteur. François Jacob, Ancré Lwoff et Jacques Monod. Eux furent récompensés par le prix Nobel de médecine en 1965. La France n’est donc pas totalement absente de mise au point du vaccin. A ceux qui refusent un vaccin mis au point en seulement quelques mois, il est facile d’objecter que les recherches sur l’ARN messager se sont déroulées sur une longue période, bien avant l’émergence du virus.
Prendre soin de nos ainés
Le virus est désormais banalisé. Nous allons devoir apprendre à vivre sur longue durée avec cette nouvelle maladie. Elle semble devoir rejoindre le stade endémique, c’est-à-dire s’être installée durablement au sein de la population. L’angoisse de l’inconnue est passée. Nous oublions rapidement les notions barbares de confinement, passe-sanitaire, autorisation, urgence respiratoire, isolement.
C’est le retour à la normale, pour tous … ou presque. Les plus fragilisés d’entre nous, au premier rang duquel se trouvent nos ainés, doivent vivre avec une épée de Damoclès suspendue en permanence au-dessus de leurs têtes. Les vagues successives de virus se produisant au grès des variants devraient se poursuivre. Si la vaccination permet de limiter la mortalité du virus, sa dangerosité pour les personnes âgées reste forte.
Nos ainés payent donc un lourd tribut à la crise sanitaire. Très nombreux, ils ont connu des moments éprouvants, enfermés dans leurs maisons de retraite. Une situation souvent dramatique comme cela l’est rappelée dans le livre-brûlot du journaliste Victor Castanet, Les Fossoyeurs. Un véritable pavé dans la mare. Il y dénonce les conditions de vie innommables dans l’établissement de luxe Orpéa Les Rives de Seine à Neuilly-sur-Seine. Bien qu’exemplaire, c’est, hélas, un cas qui semble très fréquent.
Projets présidentiels
Le projet présidentiel d’Emmanuel Macron dépassera-t-il le stade du vœu pieux ? « Pour nos ainés, nous ferons de la France la nation du bien-vieillir, en permettant à chacun de vivre le grand âge sereinement, que ce soit à domicile ou dans des maisons de retraite plus humaines ».
Pour ce faire, les intentions sont louables. Indexation des retraites sur l’inflation, augmentation du budget de la santé, surtout celui de la cinquième branche. Celle qui est consacrée à l’autonomie des personnes âgées et handicapées. Rénovation des structures d’accueil de nos ainés, favoriser le bien-vieillir à domicile, recours à l’HAD (hospitalisation à domicile), recrutements d’aidants professionnels mieux formés et rémunérés, prise en compte du statut de proches aidants et de celui des aidants salariés… Les projets ne manquent pas. Que restera-t-il de ces bonnes intentions une fois retrouvé le chemin de l’orthodoxie budgétaire ?
Jean qui rit …
Les politiques économiques de soutien pendant les périodes de confinement, suivi par une forte reprise économique, ont permis d’éviter les faillites en cascades et le chômage massif. Battant ainsi en brèche les prédictions alarmistes de nombre d’économistes et d’experts.
La crise sanitaire a eu un effet salutaire conduisant à revoir un grand nombre de choix effectués par le passé. La délocalisation à outrance, justifiée par l’optimisation des coûts, n’est pas ou plus souhaitable à bien des points de vue.
Il en va de notre souveraineté économique et politique. Ne pas disposer de capacité de production de médicaments de base, de masques sanitaires ou de respirateurs nous a permis de mesurer à quel point nous dépendions de fournisseurs étrangers pour produire des biens essentiels à la vie de la nation. La pénurie de composants électroniques pèse lourdement sur de nombreuses industries. Cela est le cas de l’industrie automobile, souvent obligée de mettre à l’arrêt ses chaines de production faute de disposer des pièces critiques.
Effets vertueux
La crise climatique se fait sentir chaque jour avec plus d’acuité. La neutralité des émissions et la décarbonisation au travers du bilan carbone représentent la première brique de la RSE (Responsabilité Sociale ou Sociétale des Entreprises). Dès lors est-il possible de continuer de produire le moindre composant de base à l’autre bout de la planète ?
Au cours des prochaines années, nous pourrions voir revenir en France des emplois industriels. Pourquoi aller chercher à l’étranger ce qui peut être produit chez nous ? Tout en donnant de la souplesse aux entreprises, la réindustrialisation du pays apporterait une réponse politique, sociale et économique aux partisans du made in France.
Ces transformations ont des effets induits positifs sur la balance des paiements tout autant que sur les comptes sociaux. Il en va de même de la production d’énergies renouvelables. Création d’emplois, réduction des importations énergétiques, diminution de la pollution, tout milite en faveur d’un effort financier massif pour développer cette filière.
Transformation des emplois
Ces changements économiques demandent bien entendu un effort important de formation et de revalorisation de nombreux métiers. L’apprentissage permettra de former les travailleurs qualifiés nécessaires à l’industrie manufacturière. La pénurie de personnel dans les domaines de l’aide à la personne, de l’hôtellerie-restauration, de l’enseignement demande une revalorisation salariale. Il convient d’améliorer en urgence l’attractivité de nombreuses fonctions délaissées du secteur tertiaire.
Dans une France vieillissante, malgré la destruction de nombreux emplois liés aux outils technologiques (robotisation, intelligence artificielle), la crainte d’un chômage structurel de longue durée semble oubliée.
Nous assistons à une profonde transformation des habitudes de travail. Le télétravail semble durablement entré dans les mœurs. Nombreux sont ceux qui ne veulent plus subir le dictat des transports en commun ou des encombrements jour après jour pour rejoindre un lieu de travail éloigné. Dans le même temps, le cœur des grandes villes semble moins attractif, redonnant de l’attrait à des zones moins densément peuplées. Economie, paysages et nouveaux modes de vie évoluent rapidement. C’est ce que notent Jérôme Fourquet et Jean-Laurent Cassely dans La France sous nos yeux.
L’informatique, le web, l’IA transforment en profondeur le monde du travail. Ces changements continueront de s’accélérer. Le cabinet McKinsey prévoit que l’impact des métavers, des NFT (Non Fungible Tokens, qui sont des certificats de propriété d’objets virtuels, souvent payés en cryptomonnaie) pourraient avoir des retombées économiques proches des 5 000 milliards de dollars en 2030.
… Jean qui pleure
Toute médaille a son revers. La contrepartie de l’effort de soutien massif à l’économie se retrouve dans l’explosion de la dette publique léguée aux générations futures. Les aides de l’état ont permis la survie de sociétés non viables économiquement. Le réveil pourrait être brutal.
L’appareil productif français souffre de la concurrence avec l’Allemagne. Notre balance commerciale affiche un déficit de 100 milliards d’euros pour l’année 2021. L’écart avec l’Allemagne est considérable, s’établissant à 270 milliards d’euros.
Phénomène nouveau, la pénurie de main-d’œuvre, nous devrions plutôt parler d’inadaptation, se traduit par un renchérissement du coût de production. Le système éducatif produit des jeunes de bons niveaux, mais il laisse aussi sur le côté un très grand nombre de personnes peu ou mal formées, mais aussi de plus en plus rétives à occuper des tâches ingrates et mal payées.
Autre tendance lourde qui devrait peser sur les coûts de production, la prise en compte de l’impact écologique. Elévation inexorable de la température du globe, fonte des pôles et montée du niveau des océans, pollutions de toutes natures génèrent un flot continu de règlements et de mesures. Tous ne semblent pas efficaces, mais elles contribuent au renchérissement du coût de la vie.
Une très forte demande qui rencontre de nombreux goulots d’étranglement se traduit par une reprise de l’inflation. A terme, tout devrait rentrer dans l’ordre. Soit l’appareil de production se sera adapté, soit la demande aura fléchi ce qui entrainera un ralentissement économique et partant une moindre pression sur les producteurs. Il va aussi falloir vivre avec les risques du « stop and go ». Nous restons exposés à une reprise de la crise sanitaire. La Chine avec sa politique de zéro-Covid peut à tout moment mettre à l’arrêt tout ou partie de son appareil de production.
Coûteuse inflation
Si elle a un effet positif en rendant moins lourde la dette des particuliers, l’inflation rogne les revenus fixes (retraités, rentiers). Pour les finances publiques, les conséquences peuvent être graves. Depuis le début de l’année, le rendement des OAT (Obligations Assimilables du Trésor) à 10 ans a progressé de 130 points de base, en passant de 0,20 à 1,50 %.
Un pour cent d’augmentation du taux d’intérêt et le surcoût annuel pour les finances publiques atteint les 40 milliards d’euros. Inquiétant quand la dette publique représente 113% du PIB.
Jugulée depuis longtemps, souhaitée par les économistes à des niveaux raisonnables (2%), l’inflation fait un retour en force. Avec la crise sanitaire, et plus récemment la guerre en Ukraine, nos économies sont confrontées à une crise d’approvisionnement et une forte pression sur la demande de nombreux biens. La désorganisation de l’appareil de production lors des différentes phases de confinement – comme cela reste en grande partie le cas en Chine – se traduit par un allongement des délais de livraison de nombreux composants essentiels à la fabrication d’un grand nombre de produits manufacturés.
Un exemple parmi d’autres
Avec la sortie de la crise sanitaire, nous assistons à un boom de la consommation. Ce qui entraine une demande très élevée de matières premières, de produits alimentaires et énergétiques de toutes natures.
Le coût des transports explose. Cela n’est pas seulement lié à la hausse du prix des carburants. La congestion des ports, la pénurie de containers se sont traduites par un important déséquilibre entre l’offre et la demande. Cela génère une très forte hausse du taux de fret maritime. Le prix moyen pour l’acheminement des containers a ainsi été multiplié par 6 depuis 2019.
Incertitudes
Le vent d’optimisme qui accompagnait l’abandon des restrictions sanitaires est bien retombé. Dans les médias, oubliés reprise, croissance, plein-emploi. A ce vocable se substituent les termes de stagnation, récession, krach. Des anticipations pessimistes qui ne manquent pas d’inquiéter dirigeants et experts. Nombreux sont ceux qui prédisent de fortes turbulences pour le reste de l’année 2022 et qui se poursuivraient en 2023.
Les mesures d’aides massives à l’économie et aux entreprises ont permis d’éviter dans un grand nombre de pays une déferlante massive du chômage. Les faillites en cascades étaient l’une des grandes craintes du début de la crise sanitaire. La fin du « quoi qu’il en coûte » à un moment de fortes incertitudes de nature économique, géopolitique, mais ne l’oublions pas encore sanitaire, se traduira-t-elle par une remontée du chômage ? Elon Musk, le patron visionnaire de Tesla, prend les devants. Il a annoncé vouloir se séparer de 10% des 100 000 salariés de son groupe.
Il convient bien entendu d’éviter le scénario noir de la stagflation ou inflation et décroissance économique coexistent. Nous pouvons observer que la croissance fléchit fortement tandis que nous renouons avec une inflation élevée. Toutefois, il devrait s’agir d’un dérèglement transitoire et non pas une réelle menace. Il pourrait en aller tout autrement de l’évolution des marchés financiers.
Crise boursière
La remontée des taux d’intérêt, les profit warnings, les difficultés d’approvisionnement, les anticipations pessimistes face aux incertitudes de tous ordres (crise sanitaire, Ukraine, pénuries) se retrouvent dans la forte volatilité des places boursières. La forte progression de l’année 2021 est en grande partie effacée. La bourse n’aime pas mes incertitudes. La guerre à nos portes ravive les craintes géopolitiques (Taiwan, Iran, Corée du Nord, islamisme intégriste).
Pourrons-nous éviter une grave crise financière ? La remontée brutale des taux pourrait se traduire par des demandes massives de rachat d’anciens contrats obligataires aux taux de rendement faibles. Les institutionnels (banques et assurances) pourraient se trouver confrontés à un problème de liquidité en cas de demandes de rachat anormalement élevées de porteurs d’anciens contrats arbitrant en faveur de contrats plus rémunérateurs.
Eclatement de la bulle
La remontée des taux d’intérêt est un frein pour la croissance économique. Des crédits plus chers, moins d’investissement, un pouvoir d’achat en baisse, une baisse de la demande, des perspectives défavorables et la spirale baissière se met en place. Une correction d’autant plus forte que de nombreux secteurs se sont trouvés valorisés à des niveaux stratosphériques.
Même constat pour les fonds d’investissement qui n’hésitent pas à payer dix, vingt, cinquante fois les résultats opérationnels de leurs cibles. Une petite équipe de fondateurs astucieux, quelques transparents, souvent pas même de début de réalisation (le fameux POC ou Proof Of Concept) et les levées se font sur des valorisations à plusieurs millions d’euros. Quelques rares pépites atteindront le statut de licornes (valorisation supérieure au milliard de dollars) et il n’en faut pas plus pour voir les startups passer d’un fonds à l’autre. Là encore, l’atterrissage risque d’être rude et les sources de financement pourraient rapidement s’assécher.
Avis de tempête
Cela pourrait déboucher sur ce que les Anglo-saxons qualifient de « perfect storm », la tempête parfaite. Ou même un ouragan, si l’on en croit Jamie Dimon, le directeur général de JP Morgan. Toutes les conditions se trouvent réunies pour générer une importante inflation, issue tant de l’offre que de la demande. Et il ne faut pas s’attendre à un rapide retour à une inflation maitrisée. Pour 2022, la hausse moyenne des prix devait nettement dépasser 4% pour les économies avancées. Les économies émergentes devraient connaitre un niveau nettement supérieur (pouvant atteindre ou excéder 10%). Les chiffres sont régulièrement revus à la hausse. Nous devrions être au-delà des 5% en France pour cette année (7% attendus pour la zone euro).
Mais, il ne s’agit pas encore d’une inflation galopante. Nous sommes déjà loin du taux de 1.1% qu’a connu la France en 2019. Il convient surtout de ne pas sombrer dans la dangereuse spirale inflationniste de la course entre prix et salaire. La Banque Centrale veille au grain. Nous assistons à la fin de plus de dix années de Quantitative Easing (ou QE). L’argent coulait à flots. Les OAT à dix ans émises par la France offraient un rendement négatif. La BCE resserre les conditions d’accès au crédit, en relevant progressivement les taux d’intérêt.
Inflation, crise boursière, engorgement, pessimisme économique, tout cela se retrouve dans les anticipations économiques. C’est ainsi que le taux de croissance du PIB de la France a été ramené à 2.9% pour 2022. Cela représente une correction de 0.6% sur les prévisions du début de l’année. Selon le FMI, le ralentissement économique mondial devrait se poursuivre en 2023.
Menaces apocalyptiques
Espérons que le dernier ouvrage de Ken Follet « Never » paru en France sous le titre « Pour rien au Monde » en 2021 ne reste qu’une œuvre de pure fiction. L’auteur décrit une série d’enchainements malheureux, conduisant irrémédiablement à l’apocalypse nucléaire.
Si le pire n’est certes jamais certain, l’erreur étant humaine, vouloir préparer la guerre, pour avoir la paix, peut aussi se révéler fatal. Quand des dirigeants disposent d’armes infiniment plus puissantes que les bombes lâchées sur Hiroshima et Nagasaki, quelles certitudes avons-nous que l’ordre démoniaque ne sera jamais donné ? Quand un démiurge dévoyé, imprévisible et irrationnel, à l’instar du docteur Folamour (interprétation inoubliable de Peter Sellers) n’est plus sensible à la notion d’équilibre de la terreur, un geste dramatique peut s’en suivre. Cela pourrait déclencher une réaction en chaine fatale pour la survie de notre humanité.
A chaque jour suffit sa peine. Dès lors, faisons nôtre l’exhortation d’Horace « cueille le jour, et ne crois pas au lendemain ». Carpe diem. Rien de mieux que de fredonner l’air de la Vie en Rose. Ne pensons qu’à « Amis et Amours » ; oublions les « emmerdes » de Charles Aznavour[1]. D’autant plus que ce n’est peut-être que le calme avant la tempête. Surtout si la vie en rose vire au noir.
Marc SEVESTRE
[1] « Mes amis, mes amours, mes emmerdes » Paroles et musique de Charles Aznavour (1976)