Depuis l’après-guerre, les Français ont en moyenne gagné un trimestre d’espérance de vie chaque année, c’est-à-dire qu’au cours des soixante dernières années, les hommes comme les femmes ont vu leur espérance de vie progresser de quatorze ans. Nombreuses seront les jeunes femmes nées en l’an 2000 à voir le prochain siècle. En effet l’espérance de vie à la naissance en France en 2017 atteignait 79,5 ans pour les hommes et 85,4 ans pour les femmes. En un siècle nous avons gagné trente ans.
L’allongement de la durée de vie a des implications très lourdes pour les pays occidentaux. Intéressons-nous à l’impact direct sur le système de retraite français et sur l’évolution du niveau de vie des retraités.
L’allongement de la durée de vie est la cause première du déficit des régimes de retraite
Depuis la mise en place du système de retraite par répartition au lendemain de la guerre, le nombre d’années de versement des prestations par retraité a presque doublé. C’est cette augmentation du nombre d’années qui est la cause principale du déficit des régimes de retraite. On entend souvent dire que le déficit est lié au déséquilibre entre actifs et retraités. Certes, mais ceci n’est que la conséquence de l’allongement de la durée de vie. Rester plus longtemps à la retraite ne peut résulter qu’en une augmentation du nombre de retraités. Les générations de retraités s’accumulent et les « sorties » (les décès) ralentissent du fait de l’allongement de l’espérance de vie. Toutes les mesures de recul de l’âge du départ en retraite ont pour but de réduire le nombre d’années des versements des pensions. Ces mesures ont nettement plus d’impact que le gel de la revalorisation des prestations.
Le Japon, connu pour son taux très élevé de personnes âgées, envisage de repousser l’âge limite obligatoire du départ à la retraite de 70 à 80 ans. En effet dans ce pays de très nombreux seniors sont au travail jusqu’à un âge avancé. Un retraité sur cinq vit en dessous du seuil de pauvreté. Ne soyons pas dupes, dans un pays comme la France qui a l’un des plus faibles taux d’emploi des plus de soixante ans au sein des pays de l’OCDE, reculer l’âge de la retraite, c’est augmenter le nombre de retraités qui ne percevront pas leurs pensions à taux plein. L’âge légal du départ à la retraite pour bénéficier du taux plein en cas de trimestres manquants est progressivement porté à 67 ans en France, alors même que moins d’une personne sur quatre âgée de 60 à 65 ans est en activité.
10 millions de retraités supplémentaires en 40 ans
La croissance du nombre de retraités sur une relativement courte période donne le vertige. Si l’on s’en tient au seul Régime Général (le plus représentatif), on passe d’un peu plus de 4 millions de retraités en 1975 à près de 14 millions en 2015. Ainsi donc le ratio de cotisants à retraités se réduit de 3.1 en 1975 à 1.3 en 2015 !!! Ce ratio à lui seul illustre l’impasse de notre régime de retraite par répartition.
On compte aujourd’hui presque 17 millions de retraités (tous régimes confondus) pour 30 millions d’actifs, soit 0.57 retraité par actif avec près d’un quart de la population française à la retraite. Il est facile de comprendre que toute réforme du système de retraite sera très douloureuse. Ce sera d’autant plus délicat que le nombre moyen d’années de prestations servies, malgré les mesures reculant l’âge légal du départ à la retraite, ne cesse d’augmenter pour atteindre 27 ans en moyenne pour une personne partant aujourd’hui à la retraite.
Vivre plus longtemps, mais avec quels moyens financiers ?
Aujourd’hui le taux de pauvreté est plus faible chez les retraités que dans le reste de la population française. 7.6% des retraités vivent en dessous du seuil de pauvreté contre 14.1% en moyenne dans la population française. La retraite moyenne s’établit à 1376 euros bruts par mois (en 2015). Cependant, ainsi que le montrent les signes et mesures de ces derniers mois, le niveau de vie des retraités devrait se dégrader inexorablement au fil du temps. A cet effet, selon une étude de l’IFOP, 71 % des Français estiment que leur niveau de pension de retraite sera insuffisant pour vivre correctement. Les futurs retraités sont encore plus pessimistes. Ils sont 79 % à estimer que leur pension de retraite ne leur suffira pas.
Ceci pose donc le problème des conditions de vie des retraités et en premier lieu du financement des frais de santé. Vivre plus longtemps, oui, mais encore faut-il en avoir les moyens. Aux Etats-Unis, l’une des craintes principales des seniors est de savoir comment survivre à l’assèchement de leurs actifs financiers. Comment en France réconcilier la stagnation ou la baisse du pouvoir d’achat avec des frais de santé progressant très fortement dans les dernières années de vie et impliquant une progression continue du reste à charge ?
Vivre vieux, vivre mieux ?
Dès lors, avec l’allongement de la durée de vie, comment finir sa vie dans des conditions matérielles décentes ? Comment rester à son domicile, qui est le souhait de l’immense majorité de nos ainés ? Le rôle des proches aidants (famille, amis, voisins) est critique pour nombre de seniors. Mais offrir un large accès à des solutions pérennes de prise en charge des personnes âgées passe par un immense effort sur le développement d’infrastructures et une mobilisation énorme de personnel compétent. Les progrès de la médecine, la téléconsultation, la santé connectée devraient contribuer à la poursuite de l’allongement de la durée de la vie. Toutefois certains prédisent qu’avec des pensions ne suivant plus la hausse des prix et l’aggravation des problèmes environnementaux cette tendance pourrait se ralentir.
Bien qu’ayant conscience des problèmes financiers liés à l’allongement de la durée de vie, presque un français sur deux n’épargne pas pour sa retraite. « Vivre vieux » devrait rimer avec « vivre mieux ». Hélas, pour nombre de futurs retraités, cela devrait plutôt rimer avec « vivre malheureux ».
Marc SEVESTRE
Sources : INSEE, DREES, IFOP, UCANSS, INED Le Figaro, Les Echos, Notre Temps, Libération